Dossier
Il y a de cela bientôt trois ans, une bulle appelée Internet explosait. Depuis, des milliers d'entreprises liées au secteur ont fermé, et des centaines de milliers de personnes ont perdu leur emploi. Le secteur du jeu vidéo pourrait-il être la prochaine bulle ?
Une bulle ? Kesako ?
On attribue une bulle à un secteur quand les valeurs des actions des entreprises qui y sont rattachées n'ont plus vraiment de sens. C'est arrivé il y a presque trois ans quand, en février 2000, les bourses du monde ont commencé une longue chute qui n'est d'ailleurs toujours pas terminée.
Quand on regarde les cours des actions de certaines sociétés du secteur du jeu vidéo, on peut craindre qu'une nouvelle bulle soit en cours de formation, et qu'elle pourrait bien exploser elle aussi dans un futur peut-être plus proche qu'on ne le croit.
Le fait est que le jeu vidéo est connu pour sa cyclicité. En effet, on assiste à des cycles de cinq ou six ans à l'issue desquels une nouvelle génération de consoles arrive sur le marché. Ces nouvelles machines sont toujours plus populaires que les précédentes, car plus puissantes, plus sympas, avec plus de jeux pour couvrir toujours plus de goûts.
De par cette périodicité qui n'a pas trompé depuis que la NES est arrivée dans les foyers au milieu des années 1980, il y a donc une certaine anticipation des investisseurs par rapport aux sociétés qui profitent de cet aspect cyclique de la question. Le problème est qu'ils en attendent peut-être un peu trop, que leurs projections sont peut-être un peu trop irréalistes, et que du coup, on se retrouve avec des actions surcotées. Qu'est-ce que cela veut dire : que la crise est proche.
Et l'instabilité de certains cours, comme l'action de Sega qui joue au yoyo depuis plusieurs semaines, prouve que les investisseurs commencent à se poser des questions. Et si ce n'est pas bon pour les fonds de retraite américains, ce n'est pas bon pour nous, les joueurs : les entreprises se servent de la valeur de leur capital pour financer leurs développements, et si une action ne vaut rien, une entreprise n'a que peu de chance de tenir sur le moyen terme. Quand on voit le mal que des géants comme Infogrames ont, on comprend mieux que les plus petits du secteur n'ont pas intérêt à ce que la bulle enfle et explose dans les prochains mois.
C'est mauvais pour nous ?
C'est pourtant ce qui nous pend au nez, et on peut même dire que la Grande Désillusion a déjà commencé. Les éditeurs ont beau essayer d'anticiper toute crise avec des avertissements, le prix à payer est élevé. Lorsque Nintendo indique en octobre que ses ventes seront de deux millions inférieures aux prévisions, l'action plonge. Certes, elle n'allait pas grimper, mais la réaction des investisseurs semble exagérée.
Il faut savoir que lorsqu'une action chute, c'est parce qu'il y a beaucoup plus d'acheteurs que de vendeurs. Plus une société est populaire, plus son action va grimper, tout simplement parce que la loi de l'offre et de la demande est particulièrement efficace ! Ce qui est rare est cher, mais l'inverse est vrai aussi : ce qui est courant est bon marché, et dans le cadre des actions, ce qui est disponible en grand nombre ne vaut pas un clou.
Une chose est sûre : les années folles sont terminées. Quand la bulle internet a explosé au printemps 2000, beaucoup se sont tournés vers les valeurs du secteur du jeu vidéo, alors en pleine transition. Cela veut dire qu'à cette époque, dans la mesure où les éditeurs avaient des revenus en stagnation ou en baisse par rapport à 1998-1999, les actions étaient alors une bonne affaire.
Les valeurs qu'on a suivi pour cet article montrent néanmoins quelques semaines d'attentisme par rapport au secteur du jeu vidéo, suivi d'un emballement qui se traduit par des pics en haut desquels la vue doit être impressionnante. Il aura donc fallu un certain temps pour que les uns et les autres comprennent que les jeux vidéo et Internet ne sont pas forcément la même chose, que si les premiers se servent du second (voilà un sujet qui fâche !!!), il ne faut pas mettre les deux dans le même panier.
Je répète : c'est mauvais pour nous ?
Quand les investisseurs se sont aperçus que le secteur du jeu vidéo avait un potentiel de folie, ils sont devenus complètement dingues quand l'arrivée de Microsoft s'est confirmée avec la XBox. Là où Microsoft passe, les revenus s'envolent, enfin presque toujours... La présence de Microsoft rend le secteur encore plus... crédible.
Car c'est ce qui lui manquait au secteur : de la crédibilité. Nintendo, Sega, deux Japonais qui se font un fric fou. Mais ce sont des sociétés japonaises. Le fait que la NES ait pu pénétrer le tiers des foyers américains n'a pas vraiment excité qui que ce soit, et pourtant... Les choses ont changé, dans la mesure où la présence d'acteurs comme Sony et Microsoft, deux mastodontes du divertissement, ont rassuré les investisseurs : le secteur du jeu vidéo, c'est devenu du business. Du gros business.
Le tout est de savoir de quelle grosseur est le business. C'est une question difficile. Et pour cela, on a nos adorables cabinets d'études qui, pour quelques milliers de dollars, vous disent comment sera le secteur du jeu vidéo dans 1, 3 ou 5 ans. La bonne blague. Je les hais ces études, car elles tendant à renforcer les craintes des uns ou des autres par rapport à un fabricant ou une possible orientation du secteur.
Nintendo troisième, le succès foudroyant du jeu en ligne, voilà les choses que les Nintendomaniaques regarderont en premier quand une nouvelle étude sera disponible. Pourtant, essayer de faire une analyse du marché d'ici quelques années est impossible, tout simplement parce qu'on ne sait déjà pas comment les choses vont évoluer dans les six prochains mois.
Et l'incertitude, on n'aime pas. Autrefois, le secteur se définissait par cycles, mais il semblerait que ces cycles aient perdu de leur... cyclicité. Quand il n'y avait que Nintendo et Sega, c'était facile : 5 ans. Point. Désormais, avec trois constructeurs dont un qui lance sa console deux ans avant les autres, les choses sont beaucoup plus difficiles à percevoir. A deviner. On n'est pas Harry Potter, ni Madame Soleil.
Il va nous dire si c'est mauvais ou pas ?
Quand un secteur est instable, et il faut reconnaître que le secteur du jeu vidéo et ses incertitudes en fait un secteur pour le moins instable, on se retrouve avec des investisseurs qui deviennent frileux, et pour peu que plusieurs mauvaises nouvelles se suivent les unes à la suite des autres, on vend. Par brouettes. Et une valeur s'effondre.
Infogrames, Activision, Acclaim voilà des exemples typiques de sociétés qui ont grimpé, grimpé, grimpé, et qui maintenant sont au plus bas. Infogrames a annoncé une réduction drastique de ses effectifs (acheter Hasbro interactive et Atari, cela se paie cher !), Acclaim multiplie les sorties, Activision saute sur chaque licence...
Certaines sociétés font dans le complexe. Infogrames par exemple dispose de deux cotations, Acclaim en a trois... Cela n'aide pas à permettre de comprendre facilement comment fonctionne une société, ce qui devrait rendre certains d'autant plus frileux... C'est d'autant plus inquiétant qu'on a vu de par le passé certaines sociétés jouer de structures comptables extrèmement complexes pour mentir, tricher, avec des résultats bien tristes pour Worldcom ou Enron.
Evidemment, le secteur du jeu vidéo est encore constitué de sociétés aux dimensions le plus souvent raisonnables, mais le danger existe : les investisseurs aiment bien les croissances sur des courbes à 45 degrés, et jouer avec les chiffres peut être d'autant plus facile quand on dispose de plusieurs sociétés, de plusieurs cotations, de plusieurs facettes toutes plus ou moins connues du public.
La prudence est de mise
Quand les investisseurs ont cherché la nouvelle poule aux oeufs d'or, une fois la bulle Internet disloquée, ils se sont tournés, pour certains du moins, vers le jeu vidéo. Les titres se sont envolés. D'autant plus vite que la chute fut alors brutale, et que pas mal y ont laissé des plumes.
Pour nous les joueurs, le danger est réel. Un investisseur ne donnera pas de prime de risque aux développeurs, et pour plaire aux premiers, les seconds vont mettre l'accent sur les fameuses licenses dont le portage sur console n'est pas toujours une réussite.
En créant des jeux autour de licenses, on court un nouveau danger : le manque de créativité, et le portage multi-consoles ennuyeux et rébarbatif. Le manque de créativité est une plaie pour le jeu vidéo, parce que certains titres ne diffèrent en rien. C'est bonnet blanc et blanc bonnet, jouer à l'un permet de se passer de l'autre.
Le portage multi-consoles est lui aussi un problème, car si quelque part on rejoint le problème relatif au manque de créativité, on arrive aussi à une situation où il n'y a rien qui permette de différencier une console d'une autre. Les mêmes jeux sur toutes les consoles, sans efforts de la part des studios, car développer de l'inédit pour chaque console, ça coûte cher, et Mr porte-feuilles n'aime pas ça.
La réaction viendra du bas !
Le diktat des financiers a pourtant fait long feu. On le voit déjà avec 3DO dont le CEO qui investit un million de ses propres deniers pour redonner à son studio une espèce de liberté qui lui permettra de mener à terme le développement de nouveaux projets : plus de temps, plus d'innovation.
Pourtant, innover est dangereux. Capcom pourrait en faire les frais, car plus d'une personne doute du choix fait par le studio japonais de faire de Resident Evil une exclusivité GameCube ! C'est le genre de choix qu'on aime bien, nous, forcément, mais qu'en est-il des milieux financiers ? Le peu d'engoûment pour Resident Evil au Japon a pu faire craindre le pire. Pourtant, le même jeu a cartonné aux Etats-Unis, et bien marché en Europe. De quoi rassurer.
Rassurer, c'est bien de ce dont ont besoin les développeurs. Rassurer, c'est ce que Nintendo est en train de faire, en rachetant ses actions par centaines de milliers à la fois, pour maintenir leur cours. Un moyen comme un autre de dire qu'il a confiance en lui même, et que les investisseurs devraient en faire autant : acheter des actions Nintendo !
La bourse est un mal nécessaire, mais argent et art ont toujours eu du mal à s'entendre. Que ce soit la littérature, le cinéma, et maintenant le jeu vidéo, les aléas du secteur ont toujours provoqué des sueurs froides dans le dos des investisseurs. Ceux-ci ont crû que les cycles de 5 ans allaient leur donner une chance de maîtriser le secteur, et de miser sur le court-terme. Une erreur, et ce parce qu'en grossissant, le jeu vidéo est devenu extrèmement complexe, et savoir qui seront les vainqueurs de demain un exercice difficile. C'est ce qui rend le suivi de l'actu du secteur au jour le jour si excitant !
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