Dossier
Le piratage est un fléau. Mais en Chine, c'est comme un mode de vie. On cite souvent l'Italie quand on veut illustrer le phénomène d'économie parallèle, mais en fait, la Chine est de loin le pays qui a ces dernières décennies le plus développé le phénomène. Et qui dit économie parallèle dit, quand on aborde le thème des technologies de l'information, piratage. Or, en Chine, le piratage fait vivre des centaines de milliers de personnes : comment alors faire en sorte de communiquer sur le fait que les jeux doivent être acquis légalement quand en face on a des gens acquis à la cause du piratage, pour une simple question de survie ? C'est tout le dilemme de sociétés comme Nintendo quand la décision est prise de lancer une console en Chine. (Note : La plupart des éléments de ce dossier sont extraits d'un long article paru dans le Financial Times le 2 février 2005: Nintendo tackles the pirates)
L'iQue : une fausse bonne idée ?
L'idée de Nintendo était pourtant simple : au lieu de proposer sur le marché chinois ses consoles classiques, Nintendo a mis au point une console spéciale, l'iQue, qui est un lecteur de cartes-mémoire sophistiqué : le joueur doit aller charger un jeu sur sa carte en allant chez le revendeur, et ne peut posséder qu'un jeu à la fois.Mais convaincre les gens d'acheter des jeux légalement est difficile. Alors pour mieux faire passer la pilule, Nintendo a confié son destin à une société locale, basée à Shanghai, en partant du principe que les gens auront moins envie de se laisser tentant par les sirènes du piratage si la console et les jeux sont vendus par une société locale. Et puis ne nous leurons pas, les autorités chinoises sont sans doute moins proactives quand il s'agit de défendre des intérêts étrangers, alors si la société est chinoise...
C'est ce qui a conduit Nintendo a financé une joint-venture avec un homme d'affaires chinois, Wei Yen. Ancien Président de Silicon Graphics, Wei Yen a ainsi créé une société en partageant 50% du capital avec Nintendo. La seule référence que Nintendo fait à iQue (c'est aussi le nom de la société chinoise) est dans son bilan annuel, dans la structure du groupe.
Mais si Nintendo reste très discret quant à iQue, c'est peut-être parce que les choses ne se passent pas vraiment comme prévues pour cette console extra-terrestre : d'aucuns indiquent que l'iQue est un échec, mais il est en fait difficile de savoir ce qu'il en est. Reste que Nintendo acquiesce quand on lui demande de confirmer que la Chine n'est pas un pays où on gagne de l'argent. 'Nous sommes en train de repenser notre approche marketing en Chine'.
Une vue à long-terme.
Nintendo a le temps. Voilà 13 ans qu'iQue est établie en Chine, et Nintendo a une vue à long-terme de ce marché gigantesque. Le problème reste le même qu'il y a dix ans : il est difficile d'obliger les gens à acheter des jeux vidéo quand on les trouve pour presque rien sur le marché. 'Il y a beaucoup de jeux gratuits, alors inciter les gens à acheter des jeux ne va pas être une chose facile', indique un spécialiste du marché du jouet en Chine.Il faut aussi reconnaître que les joueurs chinois qui peuvent acheter des jeux n'ont pas forcément envie de voir à la TV des graphismes qui rappellent la Nintendo 64, une machine de génération précédente. Les jeux doivent aussi être plus polis, plus soignés, pour avoir une chance de rivaliser avec une console qui elle semble avoir rencontré un franc succès en Chine : la PS2. Les joueurs achètent cette console... puis les jeux piratés qui vont avec : les derniers jeux sortis aux USA sortent en général deux semaines seulement plus tard en Chine.
Proposer une solution technique au piratage est une chose, mais avoir les joueurs de son côté en est une autre. Pour réussir, Nintendo va devoir concilier son désir de protéger sa principale source de revenus, tout en faisant en sorte d'encourager les Chinois à s'offrir ses consoles. Pour cela, revoir la position marketing de l'iQue s'avèrera nécessaire, surtout si Nintendo entend proposer de nouveaux produits en Chine.
La Chine est un des marchés les plus prometteurs de la planète : son économie flambe, et de ce fait le pouvoir d'achat de la classe moyenne augmente. Posséder les derniers bijoux technologiques n'est plus un rêve pour bon nombre de cadres travaillant à Pékin, et cette nouvelle génération a soif de jeux graphiquement performants.
Mais le problème est surtout psychologique : regardez comme il est difficile de se convertir au téléchargement légal de Mp3 maintenant qu'on a pu télécharger en toute impunité, gratuitement et en toute illégalité, pendant des années ! C'est difficile, cela demande beaucoup de communication de la part des sociétés concernées, et les états d'esprit pourront alors changer.
Le fait est que si le joueur chinois n'aime pas acheter ses jeux, il n'en veut pas moins des graphismes dignes des temps modernes, et non ceux d'une console aux capacités graphiques usées par le temps. Car c'est bien là ce qu'est l'iQue, une console techniquement dépassée aux chances de succès bien minces quand d'une facon ou d'une autre, le public peut aussi acheter des consoles plus récentes qui elles n'ont aucun état d'âme par rapport au piratage. Quand un joueur chinois doit choisir entre les graphismes d'une PS2 et ceux d'un IQue, entre une console piratable et une console protégée, on sait déjà vers quelle machine il va se tourner, pour notre plus grand malheur !
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