Nintendo Switch : la révolution hybride qui bouscule toutes les règles
8 ans après sa sortie, la Nintendo Switch continue de surprendre en redéfinissant les codes du marché des consoles. Retour sur les 4 piliers de son succès, dans la foulée de l'analyse de Shuntaro Furukawa lors de la conférence aux investisseurs.
DossierChangement structurel n°1 : de la 3DS à la Switch, deux plateformes en une !
Dans sa conférence aux investisseurs, Nintendo a pris le temps d'évoquer 4 changements structurels qui ont façonné la performance de la Switch, parmi ceux-ci, le plus important est la fusion de deux segments en un, segment portable et segment console de salon, depuis la Switch.Une conférence aux investisseurs, c'est toujours beaucoup de pédagogie : les chiffres communiqués par Nintendo durant cet événement n'étaient pas bon, la firme annonçant une révision à la baisse de ses objectifs annuels, aussi fallait-il occuper le terrain pour expliquer pourquoi, en cette 8e année d'existence de la Switch, on est en terre inconnue.
Console de salon + Console portable = un nouveau modèle
Et Nintendo a commencé son explication en rappelant que la Switch, c'était le mariage de deux segments jusqu'ici complètement distincts : les consoles portables comme la Nintendo 3DS, et les consoles de salon comme la Wii U. Il a fallu passer par tout ce parcours de conception, toute cette expérience, pour arriver à la Switch.Et la création de la Switch, comme modèle réunissant le meilleur de ces deux mondes, était loin d'être un pari gagné, même si avec le recul on voit que la Wii U était un prototype de ce qui deviendra la Switch. En somme, on peut même dire qu'il a fallu passer par cet échec pour créer un produit aussi abouti et apprécié que le sera la Switch.
Pour la première fois dans la jeune Histoire du jeu vidéo, un fabricant a réussi à mettre dans un appareil nomade la puissance d'une console de salon. Certes, on ne parle pas de la puissance d'une console comme une PS4 ou une Xbox One, mais malgré tout d'un sacré tour de passe-passe technologique pour embarquer une puissance suffisante dans un hardware limité en place.
D'un nouveau système à un nouvel écosystème créatif
En combinant deux consoles aux caractéristiques bien différentes, Nintendo réalisait par la même occasion une sorte de réunification de ses équipes de développement : dans sa conférence, Nintendo indique que la fusion des deux consoles a aussi permis de réunir ses développeurs autour d'une seule machine.Et cela a permis à Nintendo de se focaliser donc sur une seule console : un graphique nous montre que Nintendo a pu proposer 9 jeux en 2017, puis 15 en 2018, 14 en 2019, 9 en 2020, 14 en 2021, 10 en 2022, 12 en 2023 et 11 en 2024. Un sacré flux de titres qui mérite d'être souligné en effet : chaque année plus de 10 jeux en moyenne sont sortis des studios contrôlés par Nintendo, même à la fin du cycle de vie de la console, en 2024.
Bon, Nintendo a quand même eu de la chance dans cette histoire, et en est bien conscient : les consommateurs ont bien compris le double-rôle de la console dès sa sortie — on ne pourrait pas en dire autant de l'annonce de la Wii U par exemple qui a longtemps été considérée comme un périphérique de la Wii, c'est dire si le message était brouillé. Le succès de la console fera le reste : de l'achat d'une console de salon pour la famille, la Switch est devenue la console qu'on achète pour chaque membre de la famille.
Et cela change tout : les joueurs achètent maintenant une Switch pour différentes raisons, qu'il s'agisse des retardataires qui n'avaient pas encore franchi le pas à ceux qui ont besoin de remplacer leur console vieillissante, chacun a une bonne raison d'acheter une Switch. Les éditions limitées peuvent inciter certains joueurs à acheter plusieurs modèles pour compléter leurs collections, on comprend ainsi mieux la raison d'être de l'édition limitée Hyrule de la Nintendo Switch Lite à la sortie de Echoes of Wisdom, par exemple. En cette fin d'année, Animal Crossing est à l'honneur de deux packs, Nintendo sait pertinemment qu'une partie de la croissance de son parc installé se trouve là, surtout à ce stade du cycle de vie de la console.
On comprend ainsi que peu à peu, on passe de l'ambition de placer une console par foyer à celle, plus lucrative mais aussi plus difficile, de placer une console par membre du foyer ! Cela nous rappelle les années 1980 quand le PC est devenu un vrai ordinateur personnel, pas si abordable mais déjà plus accessible que les premiers modèles : Bill Gates, alors président de Microsoft, parlait lui aussi de vendre non pas un PC par famille, mais un PC par personne de la famille. On lui donne raison aujourd'hui, mais à l'époque cela semblait pour le moins... utopique.
Nintendo a réussi son pari en présentant la Switch comme une console de salon... avant de mettre en avant ses caractéristiques de console portable qu'on peut emmener partout. Convaincus, les consommateurs feront le reste et emmèneront la Switch dans le top 3 des consoles les plus populaires de tous les temps. Mais on sait que les fortunes d'un jour ne sont pas celles du lendemain, la preuve avec la Wii U, et on comprend donc pourquoi Nintendo prolonge le rêve éveillé qu'est la Switch en retardant autant que possible la sortie de sa prochaine génération.
Lors de la conférence aux investisseurs, la seule information que Furukawa lâchera concerne la rétro-compatibilité de la console, et avant cela sa seule promesse était de nous garantir de nouvelles informations avant la fin de l'année fiscale 2025, le 31 mars prochain. En dehors de ces deux informations, tout ce que nous avons lu est de l'ordre de la rumeur non confirmée, c'est dire s'il nous reste encore beaucoup à apprendre de la prochaine génération... et donc encore un peu de temps pour profiter du vaste catalogue que nous offre la Switch.
Changement structurel n°2 : créer du lien avec les consommateurs
Parmi les 4 changements structurels qui ont façonné la performance de la Switch, le second choisi par Shuntaro Furukawa est la capacité de Nintendo à s'adresser aux consommateurs.Pendant longtemps, le seul moyen pour les fans de témoigner de leur intérêt pour la firme et ses franchises, c'était d'acheter les produits commercialisés par une poignée de fabricants spécialisés comme Banpresto au Japon. Désormais, certains ont la chance de pouvoir aller dans des boutiques spécialisées consacrées à Nintendo, les Nintendo Stores, d'autres peuvent profiter d'événements pour acheter des produits dérivés dans un pop-up store comme celui ouvert à Paris Games Week l'été dernier.
Nintendo a aussi revu sa façon de proposer ses produits de manière dématérialisée. Cela s'est passé de plusieurs façons : d'une part, en proposant des mises à jour gratuites de jeux Nintendo. On a plein d'exemples en la matière comme l'ajout de nouveaux sports à Nintendo Switch Sports, de nouveaux personnages dans Mario Golf Super Rush, de nouveaux stades et équipements dans Mario Strikers Battle League. L'ambition de ces mises à jours est d'inciter les fans à rester attentif à l'actualité de la firme, mais aussi de prolonger l'expérience de jeu des joueurs ayant acquis le titre.
D'autre part, des contenus téléchargeables payants sont parfois proposés. Les exemples sont moins nombreux, mais on a plusieurs exemples comme l'Expansion Pack de Breath of the Wild et de Pokémon Epée et Bouclier, les Fighters Pass de Super Smash Bros. Ultimate, et le mode Happy Home Designer pour Animal Crossing: New Horizon. Un contenu payant offre un plus forte densité et incite donc les joueurs à continuer à jouer ou à reprendre leur partie longtemps après la sortie du jeu principal. Accessoirement, ces DLC renouvellent l'intérêt des joueurs qui peuvent découvrir un titre qui leur avait échappé jusqu'à lors.
Enfin, Nintendo évoque les changements apportés dans certains jeux à des occasions spécifiques. Le meilleur exemple est très certainement le Grand Festival de Splatoon 3, un événement extraordinaire qui a récompensé les joueurs pour leur engagement sur Splatoon 3 depuis sa sortie. D'autres jeux ont bénéficié de modes de jeu en ligne comme Mario Wonder, Smash Bros, Animal Crossing ou Nintendo Switch Sports, chacun à sa manière, mais toujours de manière ludique, joyeuse et surtout sécurisée pour les plus jeunes.
Le fait est que pour jouer en ligne, il est nécessaire de disposer d'un abonnement à Nintendo Switch Online : on compte désormais 34 millions d'abonnés au service, qui accèdent donc aux différentes fonctionnalités proposées par NSO. Dans notre article de ce midi, c'est une des statistiques qui nous avait le plus marquées : le nombre d'abonnés a certes diminué depuis l'année dernière, mais on compte par ailleurs plus d'abonnés qui ont souscrit en plus au Pack d'Expansion qui offre l'accès à un catalogue de consoles virtuelles plus modernes (N64, Megadrive, Game Boy Advance). Ajoutons à cela que Nintendo a ajouté un nouveau service de streaming musical, Nintendo Music qui permet d'écouter des musiques Nintendo en toute légalité depuis son smartphone ou depuis une application web.
Restons encore un instant sur le digital : les ventes de jeux en téléchargement représentent une part désormais significative du revenu de Nintendo, passant de 405,2 milliards de yens en 2023 à 443,3 milliards de yens en 2024. Deux segments composent ce revenu : les abonnements à NSO et les achats de DLC ou de jeux exclusivement disponibles sur l'eShop (Kirby's Dream Buffet, le Pack d'Expansion de Pokémon Epée/Bouclier, etc), et les ventes de jeux sur l'eShop également disponibles en version physique (par exemple Animal Crossing, Mario Kart 8 Deluxe ou Tears of the Kingdom).
Grâce aux boutiques réelles permanentes et aux pop-up stores temporaires, Nintendo offre au public de nouvelles occasions d'acheter des produits à l'effigie de ses franchises, tandis que le numérique permet d'accéder à du contenu additionnel pour prolonger son expérience de jeu. C'est cette expérience qui reste au coeur de tous les enjeux pour Nintendo : ramener les joueurs à ses consoles, pour jouer à ses jeux, et profiter de cet intérêt pour ses licences en proposant de nouvelles expériences.
Changement structurel n°3 : renforcer les liens avec les éditeurs et studios
Nintendo a largement communiqué sur sa relation avec les éditeurs et studios tiers, faisant de cet aspect le 3e pilier du Nintendo qui savoure sa position aujourd'hui.Le succès de la Switch est un alignement parfait de toutes les planètes qui ont fait le succès qu'on lui connait : un bon hardware, bien compris des consommateurs comme machine hybride à la croisée des chemins entre console de salon et console portable, mais aussi un appétit des joueurs pour une telle machine.
Cet engouement autour de la Switch a évidemment rapidement suscité des appétits, ou du moins un certain intérêt de la part des studios de développement et des éditeurs de jeux. Pour les séduire, on a toujours su que Nintendo avait remis à plat son écosystème à destination des studios, pour ne pas reproduire les lourdes erreurs de la Wii U pour laquelle il était difficile de développer en raison de l'architecture technique même de la console. La Switch a gommé ces erreurs critiques et la Switch, embarquant un processeur Nvidia, s'est rapidement vue dotée de kits de développement sous Unreal Engine ou Unity.
Ajoutons à cela les efforts de communication avec les développeurs, via un portail dédié, et la mise à disposition d'outils plus abordables. C'est sans doute la raison pour laquelle un très grand nombre d'éditeurs a lancé des jeux sur Switch : lors de la conférence aux investisseurs, les logos de nombreux éditeurs ont été affichés, preuve que Nintendo discute maintenant avec tout le monde, et parfois avec des entités qui sortaient un jeu pour console Nintendo pour la toute première fois.
Les plus petites structures n'ont pas été oubliées : Furukawa a ainsi rappelé l'existence des Indie World, ces émissions qui nous ont permis, ces dernières années, de découvrir de futures productions indépendantes. La sortie de ces titres permet aux joueurs de maximiser l'achat d'une console Nintendo avec des jeux proposant des expériences souvent différentes, avec à la clé de jolis succès commerciaux pour ces studios.
Lors de la conférence, Nintendo a dévoilé des statistiques originales, sans donner les chiffres précis mais nous permettant toutefois de voir que non, Nintendo n'est pas du tout le seul à vendre des jeux sur ses consoles : on peut même dire que plus de la moitié du revenu des ventes de jeux vidéo est réalisé par des éditeurs tiers, et ce depuis 2021. Et encore, on en parle ici que des jeux disponibles en version physique, et pas des jeux uniquement vendus sur l'eShop.
Changement structurel n°4 : développer l'activité dans de nouveaux territoires
L'expansion dans de nouveaux territoires géographiques, en respectant les us et coutumes locales, et en s'appuyant aussi bien via le numérique que via une offre dédiée destinée à ces nouveaux publics.Le succès de la Switch dans les territoires où la firme était bien installée a permis à Nintendo de disposer des moyens d'ouvrir de nouveaux marchés, au fil des ans. Et c'est donc un des piliers de la stratégie de développement de Nintendo de ces dernières années : aller à la rencontre des joueurs dans des pays autres que le Japon, les Etats-Unis ou l'Europe.
En outre, des joueurs qui pendant longtemps devaient se contenter de versions anglaises peuvent maintenant jouer aux jeux Nintendo dans leur propre langue : Nintendo cite l'exemple du portugais, du chinois, comme nouvelles langues incluses dans les jeux. Ces langues permettent de diffuser les jeux Nintendo dans de nouveaux pays, comme le Brésil ou la Chine, aux populations importantes.
Enfin, Nintendo a aussi repris son destin en main dans plusieurs pays, reprenant par exemple la distribution de ses produits dans certains... ou proposant des pop-up stores éphémères dans d'autres. La conséquence de toutes ces démarches, c'est de multiplier par 6,4 les ventes de consoles dans ces autres territoires entre 2017 et 2025, avec un revenu à 160,1 milliards de yens en 2024.
Tout cela mis bout à bout permet à Nintendo d'avoir un chiffre d'affaires inédit dans le fameux cycle de vie des consoles : alors que la console est dans sa huitième année, Nintendo s'attend à un chiffre d'affaires d'ici le 31 mars 2025 pas si loin de ce qu'il fut en 2020. C'est dire si la Switch se vend toujours autant, sans doute moins dans les principaux marchés, mais sans doute mieux dans de nouveaux territoires ouverts récemment par Nintendo.
Source : Support officiel de Nintendo
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