Acte I: Le reportage de la Cinquième : une copie à revoir
Le mardi 30 Octobre 2001, dans l'après-midi (de 14h05 à 15h00 pour être précis) la Cinquième diffusait un documentaire de François Garçon et Thomas Cazals intitulé "Jeux vidéo, Frissons et Dollars" concernant le marché du jeu vidéo. On s'attendait à une émission bien montée et renseignée, on a eu droit à un reportage inintéressant, perdu dans des préjugés insensés. Chronique d'une déception qui commence à devenir récurrente à la télévision française.
Tout d'abord, on peut quand même noter que cette émission partait indéniablement d'une bonne intention, la Cinquième ayant pour habitude de produire et de diffuser des dossiers sérieux et bien documentés. Pourtant, ce reportage-là était bourré d'inexactitudes. L'ouverture du documentaire s'ouvre sur des images bien tristes du pugilat qui a eu lieu au Virgin Mégastore des Champs-Elysées à l'occasion de la sortie française de la PS2 dans la nuit du 23 Novembre 2000 au 24 Novembre 2000 à 00h10 ; or, on nous annonce sans scrupules que ce triste événement avait eu lieu le 26 Novembre 2000 avec une certitude telle que je suis allé rechercher dans mes archives pour vérifier la vraie date).
On pourra aussi regretter que les journalistes aient choisi ces images pour introduire -et donc symboliser- le contenu de leur reportage, mais il est vrai que c' eût été trop compliqué de rappeler que toute la presse vidéoludique avait condamné ces actes décérébrés et qu'au contraire, ce lancement était un acte marginal dans le milieu du jeu vidéo et pas une pratique courante.
Ensuite, on nous annonce que les Pokemon se sont vendus à 2 millions d'exemplaires dans le monde, au cours de l'année 2000, alors que ce ne sont même pas les chiffres de vente de cette saga au Japon uniquement, et ce, durant la même période, c'est à dire l'année 2000. Juste après, on nous affirme que la série Final Fantasy constitue la meilleure vente de jeux au monde (35 millions de jeux vendus), alors que ce sont justement les Pokémon qui détiennent, depuis pas mal de temps pourtant, ce record...
En étudiant plus sérieusement le reportage (je l'ai regardé 2 fois, pour être le plus objectif possible), on pourra s'apercevoir que quasiment tous les studios sur lesquels le reportage se focalise, sont tous voués à la cause de Sony ou de Microsoft. Comme si Nintendo n'avait jamais existé, on voit à peine l'ombre de Big N lorsque l'on mentionne le nom de Mario dans un bref rappel de l'histoire du jeu vidéo, mais sinon, on nous bombarde d'images de Zone of the Enders (PS2), Final Fantasy IX et X (PSOne et PS2), Rayman Revolution (PS2), Cool Boarders 2001 (PS2), Jekyll and Hide (PS2), Evil Twin (PS2), Tony Hawk (PS2), Tomb Raider 5 (PSOne), Dance Dance Revolution (PS2), Nightmare Creatures 2(PS2)... comparées aux 3 secondes de Pokemon Stadium 2 sur N64, on comprend de suite que la Cinquième ne propose pas un reportage d'une objectivité parfaite...
D'autant que tous les jeux mentionnés ci-dessus ont vraiment marqué le monde du jeu vidéo et du marketing vidéoludique, vous ne trouvez pas?
Histoire d'être complet, on n'aurait pas pu, bien évidemment, couper à la traditionnelle analogie entre cinéma et jeux vidéo, abordée dans la deuxième partie du reportage (bien que ce soit un thème tellement récurrent que l'on se croirait presque devant une mauvaise émission). Alors on nous montre des images de FFX ou FFIX en les faisant passer pour des extraits du film "Final Fantasy : Les Créatures de l'Esprit", on cite le film Tomb Raider (qui est un film de Columbia Pictures, une filière très proche de Sony, comme par hasard...), ou encore Star Wars, mais toutes les remarques pouvant être émises au sujet de ce lien entre cinéma et jeux vidéo restent d'une banalité sans commune mesure.
On apprend juste que le film Tomb Raider aurait bénéficié d'un budget de 80 millions de francs (640 millions environ), ce qui est une information capitale, mais sinon, tout a déjà été dit et rebattu par tous les bouquins, tous les journaux et même dans d'autres reportages déjà diffusés.
On pourra toujours évoquer la valorisation excessive des sociétés-symboles de la French Touch en diffusant pendant des périodes interminables les interviews sans réel intérêt des studios d'Ubi Soft, de Kalisto, de In Utero, et surtout de Cryo (dont le président nous parle longuement de sa vision du jeu alors que la société a perdu toute crédibilité vidéoludique depuis pas mal de temps et essaye tant bien que mal de se racheter en changeant de logo, en rachetant ici et là toutes les firmes faisant faillites) ou en effectuant la promotion de GameOne (la chaîne de jeux vidéo corrompue à Infogrames), mais on aura déjà été convaincu de l'amateurisme puéril dans lequel surnageait ce reportage.
Pour être totalement franc, ça me faisait presque mal au coeur de voir à quel point on pouvait déformer la réalité pour le faire croire vraie au grand public ignorant.
Ainsi, alors que dans le reste du monde, le jeu vidéo semble avoir conquit ses lettres de noblesse au même titre que le cinéma ou la peinture et ainsi d'avoir atteint un statut de loisir quasiment totalement dédramatisé, en France, on se complait dans des études faussement philosophiques, proches de la psychanalyse de salon et des idéaux de Familles de France. On pourra se demander quand les chaînes franchouillardes auront la maturité de se pencher sur le sujet et de livrer un reportage objectif et attrayant. C'est clairement pas gagné.
Acte II: Le marché de la musique face à celui du jeu vidéo
Le lundi 29 Octobre 2001, au Virgin Megastore de Paris (tiens, tiens, que de souvenirs...) aux environs de minuit, Sony organisait, en collaboration avec Virgin, le lancement du nouvel album de Michaël Jackson: Invincible. Cet événement n'avait rien de banal, pas même les conclusions que j'ai pu en tirer et qui figurent ci-dessous.
Virgin est habitué à ce genre d'événements pour de grands lancements marketing de CD, jeux vidéo ou autres produits marquants. Cette soirée se déroulait au sein du grand hall du magasin, il y avait un grand rideau de papier à l'effigie de l'artiste, derrière lequel figuraient les fameux CD de l'ex-roi de la pop. Les fans ont donc attendus l'heure fatidique avant de se jeter, avec une rare violence, sur les galettes tant convoitées.
Toute la presse et les chaînes de télé ayant relayé l'information ont unanimement signalé que la soirée s'était déroulée dans une ambiance festive et conviviale, voire proche de celle d'un concert, alors même qu'on pouvait voir des personnes s'évanouissant sous la pression de la masse de fans et d'autres allant jusqu'à se frapper pour obtenir le nouveau Jackson avant son voisin...
C'est étrange (et on en a déjà rapidement parlé au début de ce dossier), mais ces scènes sont en tout point similaires à celles qu'on avait pu voir lors de la sortie de la PS2. Pourtant, à l'époque, en réaction à ces scènes de violence, on avait condamné le jeu vidéo de rendre fou furieux -comme on le fait souvent quand on ne se donne pas la peine de chercher des motifs valables. Ainsi, les journaux télévisés avaient repassé en boucle ces images en fustigeant toute la profession vidéoludique.
Il est vraiment remarquable de noter que ces mêmes critiques n'ont pas une seconde effleurées les bouches des présentateurs télé lors du lancement du disque de Jackson, alors que les événements qui se sont déroulés lundi dernier étaient réellement identiques... On pourra alors se demander la véritable place du jeu vidéo dans la société, par rapport à celle du disque. Il semble encore que la passion que nous ayons, celle du jeu vidéo , sous une forme ou sous une autre, soit marginalisée au possible.
On pourra toujours rire de la relative déception que partagent les acheteurs de la PS2 et du nouvel album du "Grey King", mais on pourra aussi d'interroger sur l'incroyable efficacité des deux coups marketing de Sony. Ainsi, le tandem Virgin-Sony a réussi à faire de PS2 et de Invincible les objets hype du jeu vidéo et de la musique.
Il n'en suffisait pas plus que ça pour se rendre compte de l'étroitesse d'esprit des médias d'une part, et du statut du jeu vidéo en France de l'autre. En réfléchissant un peu plus, on pourra se demander si le futur du jeu vidéo passera par la maximisation du profit comme la prônent sans vergogne Sony et Microsoft.
La première manche nous l'a prouvé : Sega- qui partageait avec Nintendo une vision du jeu plus axée sur le plaisir que sur l'argent- a déjà rendu l'âme en tant que constructeur et développeur original et se retrouve déjà à faire des jeux multi-plates-formes et des adaptations pour contenter le plus grand nombre et renflouer ses caisses(Crazy Taxi, Sonic Adventure 2, Jet Set Radio Future par exemple).
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