Dossier
La Nintendo DS est présentée par les hauts dirigeants de Nintendo comme un « troisième pilier », qui apparaît cependant aux yeux du monde plus comme une carte joker qu’une troisième force. Naturellement, Nintendo ne doit pas interférer dans les ventes phénoménales de la GameBoy Advance SP, c’est ainsi que la NDS est définie comme une troisième machine indépendante. Dans ce cas, pourquoi une compatibilité GBA dans la Nintendo DS ? Cette interrogation soulève bien des problèmes. Nous allons les établir et tenter d’y répondre dans ce dossier spécial.
GameBoy sans issue
Nintendo domine incontestablement le marché des consoles portables. Nous n’allons pas rappeler les chiffres, mais la gamme «Game Boy» s’est écoulée à plus de 130 millions d’exemplaires depuis les années 1990. À quoi bon se risquer à perdre de l’argent avec une machine qui, à première vue, se positionne sur le même segment. Nintendo n’est pas une compagnie qui aime prendre des risques, chaque geste est calculé, sous chaque annonce se cache une stratégie définie par la haute sphère de Nintendo Japon.Que penser de cette deuxième portable de Nintendo ? Tout le monde s’est jeté sur l’hypothèse que la Nintendo DS était une réponse franche et directe à la Playstation Portable de Sony. Soit. Nintendo, ayant peur de se faire piquer des parts de marché, demande en urgence à ses ingénieurs R&D de concevoir une nouvelle console. Dans ce cas, pourquoi pas une GBA 2 ?
Gardez cette question en mémoire et revenons à la première GameBoy Advance. Les ventes de la fin d’année 2004 sont fulgurantes, 500.000 GBA vendues par mois aux USA ! C’est-à-dire autant que de GameCube au Japon en une année. Malgré ça, dans le Top 25, les seuls jeux GBA sont des jeux Pokémon. À côté, la quasi-totalité des jeux vendus est sur PS2 (pour un parc total équivalent à la GBA) et Xbox. Toujours la même rengaine sur le problème des éditeurs tiers et Nintendo ?
Finalement, le problème des jeux d’éditeurs tiers sur GBA (voire NGC) ne date pas d’hier, nous n’allons pas refaire le débat ici, mais nous allons apporter un élément qui n’est que trop rarement soulevé. Tout le monde s’accorde à dire que la PS2 est une console de masse grâce à son nombre incalculable de jeux. La GBA, pourtant, même si on peut lui accorder ce titre, n’est pas un succès grâce aux jeux des éditeurs mais à ceux de Nintendo. On achète la GBA pour Pokémon. On achète la PS2 pour tous les jeux. Pourquoi dans ce cas sortir une nouvelle console si le service minimum suffit à faire vivre la GBA et pourrait marcher sur une GBA « boostée » en puissance ?
Revenons en arrière, Nintendo dominait le monde du jeu vidéo avec sa Super Ninteno. Sony arrive, propose une Playstation multi-usages (jeux, cd audio), des dizaines de jeux. Succès retentissant ; peut-être même plus que celui de la Game Boy. Et l’Histoire n’est qu’un éternel recommencement. Sony arrive dans un marché dominé par Nintendo, avec ses ingrédients qui lui ont assuré le succès par le passé, diversité et quantité. On en revient à l’hypothèse de départ. Nintendo a peur.
C’est là que notre problème de l’existence d’une GBA 2 revient. La réponse est peut-être l’intention de se démarquer pour éviter toute confrontation directe. La PSP est destinée à être une console de masse, la console que tout le monde s’arrachera car estampillée Playstation. Nintendo aurait pu contrer Sony avec une GBA 2 aussi puissante, mais Nintendo n’aurait pas eu le soutien des éditeurs tiers. Le schéma qui se produit depuis une décennie sur les consoles de salon aurait été reproduit sur portables.
La solution de Nintendo ? Proposer une console différente, innovante. Le choix sera sans doute moins aisé pour les futurs acheteurs : PSP ou DS ? Console puissante avec lecteur de musiques et vidéos ou console à double écran dont un écran tactile permettant un gameplay inédit, soutenue par les développeurs et proposée à un rapport qualité/prix très attractif ? Le choix n’est peut-être pas aisé, mais entre deux consoles de même puissance, le risque aurait sans doute été bien plus grand pour Nintendo.
Nouvelle voie : l’innovation
Depuis le début de l’histoire du jeu, les consoles sont liées à la course aux performances. Chaque nouvelle console se doit d’être plus puissante que la précédente. Nintendo n’échappe pas à la règle, toutes les consoles de salon ou portables ont été de plus en plus puissantes, de la NES à la Gamecube et de la GameBoy classique à la GameBoy Advance. La deuxième condition sine qua non est que la puissance d’une nouvelle console doit être définie en fonction des machines concurrentes.Nintendo prend le contre-pied de cette optique avec la Nintendo DS, une console relativement peu puissante face au monstre de technologie de la Playstation Portable. C’est une stratégie risquée au vu des préjugés des joueurs. Un jeu doit être le plus beau possible, beau au sens réaliste, au sens « millions de polygones par seconde ». Dans ce cas, Nintendo a tout faux. Pourtant le succès de la console ne fait aucun doute. Les mentalités évolueraient-elles ? C’est là que rentre un nouveau facteur : l’innovation, capable de palier le manque de puissance.
C’est simple. La Nintendo DS est moins puissante que la PSP. Les jeux DS sont pour la plupart des jeux innovants, c’est en tout cas ce que Nintendo promet. Même les jeux des éditeurs essaient de tirer partie de l’écran tactile : Tiger Woods et le swing au stylet, Ridge Racer et le volant tactile. Ces exemples ne reflètent sans doute pas la qualité des jeux que l’on peut attendre de la console, mais à côté, sur PSP, la plupart des jeux seront simplement des portages du jeu PS2. Kazunori Yamauchi, producteur de la série des Gran Turismo, le dit même sans aucune gêne :
'Il y a donc principalement deux façons d'aborder la création de jeux pour PSP. La première est de créer un titre totalement original, qui sera généralement limité en terme de contenu car le prix des jeux PSP ne sera pas très élevé, ce qui signifie que le budget consacré au développement du titre sera lui aussi limité. Nous avons préféré la seconde méthode, qui consiste à reprendre le concept d'un jeu à succès et à l'adapter au spécifications de la PSP.'
Alors là oui, on comprend mieux Sony. Il faudra le jeu PS2 et le jeu PSP (au même titre le DVD et l’UMD). Pas moyen de jouer avec l’un sur l’autre machine et pourtant ils seront globalement similaires. Sur DS, on peut reprocher le remake de certains titres Nintendo 64. Combien pour l’instant ? Un. Super Mario 64 qui apporte, malgré tout, une série de nouveautés. Nintendo ne limite pas « le contenu », il propose des technologies qui offrent de nouvelles sensations de jeu. La voix et le toucher sont deux nouvelles manières d’aborder un jeu vidéo. Cela peut dérouter, choquer. Mais il faut choisir entre une PSP puissante mais qui au final n’est qu’une vulgaire PS2 miniature, ou une DS, c’est-à-dire une Nintendo 64 à laquelle on ajoute un écran tactile et la reconnaissance vocale.
Satoru Iwata a cette vision, celle de la « Nintendo Différence » : 'Une meilleure technologie, c'est bien, mais ce n'est pas suffisant. [...] Ce qu'une nouvelle machine devrait faire ? Bien plus [que booster des graphismes] : un expérience de jouabilité jamais vue. Quelque chose qu'aucune autre machine n'a jamais délivré.'
Néanmoins, il y aura toujours des personnes souhaitant retrouver les jeux de consoles de salon sur portable. Personnellement je me vois mal jouer à un Resident Evil 4 dans le métro. Une partie de Project Rub ou de Wario Ware est bien plus appropriée. Un minimum de confort visuel et sonore et surtout le calme est préférable quand vous jouez à un jeu « classique » : Gran Turismo 4 ou Metroid Prime 2 Echoes. Il est impossible de trancher pour vous ; deux visions du monde portable existent avec l’arrivée de Sony.
Pour Nintendo, la DS est leur troisième pilier. On dira simplement qu’il s’agit d’une nouvelle voie, celle de l’innovation, celle de renouveau du jeu vidéo. Sur ce point, Miyamoto approuve : 'Donc la raison pour laquelle nous l'appelons le troisième pilier est qu'avec toutes ses fonctions et ses capacités, la DS devient un système qui ne fait pas que prendre les anciens jeux, leur apporter une meilleure technologie ou de meilleurs graphismes, elle devient un système ou nous pouvons amener de nouveaux styles de jeux que nous n'avons jamais vu avant que ce soit sur une portable que sur une console de salon.'
Succès retentissant ou pétard mouillé ?
Après le départ fulgurant aux Etats-Unis et au Japon, les ventes diminuent, peut-être pas au point d’être inquiété mais au moins de s’interroger. Il s’est vendu moins de Nintendo DS en janvier aux USA que de Game Boy Advance. 165 000 NDS contre 225 000 GBA. Pourtant la Nintendo DS est compatible GBA. Pourquoi de tels chiffres ? Premier point, le prix de vente de la GBA SP est aux USA de 80$ contre 150$ pour la DS. Le prix est sans doute le premier frein, mais les potentiels acheteurs ne comprennent peut-être pas tellement la différence entre les deux consoles.La cible de la NDS étant plus élevé que la GBA, on peut se demander si certains n’attendent pas tout simplement la PSP qui sortira fin mars aux USA. On en revient à la PSP, qui devance depuis le début d’année la DS dans les charts. Non ce n’est pas grave car la base installée de la DS est largement supérieure à celle de la console de Sony, mais la tendance ne va sans doute pas s’inverser de si tôt vu le manque de gros jeux sur DS. Oui, Nintendo a misé sur un line-up de lancement impressionnant mais semble oublier qu’il faut des jeux sur la durée. C’est un problème que Sony rencontre aussi, et qui a d’ailleurs incité le géant de l’électronique à reporter le lancement de sa console sur plusieurs marchés, histoire de laisser le temps aux studios de... développer des jeux pour sa console.
La DS et la PSP sont donc au coude à coude au Japon en 2005 et la sortie de la PSP risque de changer la donne aux Etats-Unis dès le 24 mars. Il reste encore le marché européen, où Nintendo aura encore une fois quelques semaines de répit. Le lancement sera à coup sûr réussi, mais le phénomène qui se produit au Japon risque de se répéter en Amérique et en Europe. À Nintendo de tout faire pour que ce succès retentissant ne se transforme pas en pétard mouillé.
GameBoy, le retour ?
Les rumeurs d’une nouvelle GameBoy ne vont pas a l’encontre des propos de Nintendo : la Nintendo DS est le troisième pilier, elle est indépendante et ne bloque pas le développement d’une nouvelle « GameBoy ». Oui, certes. Seulement la stratégie actuelle de Nintendo est de tester sa nouvelle politique de démarcation, « l’innovation ». Même si Nintendo décidait de sortir une nouvelle portable avec le sceau « GameBoy » en fin d’année, elle devrait affronter directement la PSP, chose qui est, nous l’avons dit précédemment bien trop difficile, pour peu que Nintendo tienne à ce que la GameBoy soit une simple console de jeu. Cependant, si les résultats à long terme de la Nintendo DS sont mauvais, ou si le public continue de préférer « le loisir de masse à la PSP », Nintendo envisagera certainement la poursuite de la série GameBoy. Il faudra probablement attendre de longs mois avant de le savoir.
Nintendo est le roi des consoles portables, le restera-t-il encore ? Nintendo affirme que la Nintendo DS n’est pas une réponse à la PSP mais que la PSP est une attaque aux marchés des consoles portables. Il reste à savoir si cette attaque convaincra les joueurs. Convergence de médias et sensations de consoles de salon contre jeux innovants. Alors même si cette notion de « jeux innovants » est noble, elle peut être considérée comme une échappatoire à une lutte dont Nintendo risquait de ne pas sortir vainqueur. Les lancements ont parfaitement été maîtrisés et réussis, mais Nintendo semble oublier le long terme. Le troisième pilier et sa belle stratégie risqueraient-ils de s’écrouler ?
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