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Shigeru Miyamoto Né le 16/11/1952 (73 ans)
Dossier Shigeru Miyamoto

Shigeru Miyamoto veut créer un monde meilleur : la très belle interview du New Yorker

Avec la présentation récente du Super Nintendo World avec notre guide Shigeru Miyamoto, l’occasion était trop belle pour le New Yorker de prendre des nouvelles du maître de Nintendo et son quotidien actuel. A 68 ans, le créateur fait le point sur une vie bien remplie, ses motivations, la violence dans les jeux et le futur de Nintendo. Une belle occasion d’en apprendre un peu plus sur cette personnalité incontournable du monde du jeu vidéo.

Dossier
Joli coup médiatique pour The New Yorker, qui a pu s’entretenir assez longuement avec Shigeru Miyamoto, assez discret ces derniers temps pour cause de Covid mais surtout à superviser les détails autour du Super Nintendo World. Les travaux au niveau du Japon sont achevés (ou quasiment), le créateur nous a proposé il y a quelques jours une première présentation live des décors en se rendant sur place. S’il invite le public à venir sur place dès le 4 février 2021, il sait que tout le monde ne pourra pas se rendre à Osaka tout de suite (surtout avec la pandémie) et nous rappelle que trois autres parcs sont prévus (aucun en Europe malheureusement)). Mais si l’arrivée du premier Super Nintendo World est la concrétisation d’un processus de diversification de la marque et une immense reconnaissance au talent créatif de Miyamoto, l’homme n’oublie pas ses autres casquettes : celui d’un directeur créatif chez Nintendo qui essaie de faire son travail de responsable du mieux possible, en étant vigilant sur la violence au sein des jeux vidéo et tentant de garder un équilibre entre son travail et sa vie de famille. Après quarante-trois années d’activité au sein de Nintendo (et oui, depuis 1977 !), il évoque son futur.
L’interview a été réalisée via l'application Zoom, distanciation sociale oblige. Ayant fêté ses 68 ans le 16 novembre dernier, Shigeru Miyamoto a rejoint Nintendo en 1977 à l’âge de 24 ans, tout juste sorti d’une école d’art. Il s'est montré attiré par l’envie de la société de se lancer sur le marché du jeu vidéo, après s’être fait connaître dans la vente de jouets et surtout de cartes, inspirée par le succès de la société californienne Atari.

Un créateur devenu star mondiale du jeu vidéo

En bricolant ce qui deviendra Donkey Kong en 1981, il met en place le premier gros succès du constructeur, avec notamment ce charpentier secourant les demoiselles en détresse, Mario. Un charpentier qui, quatre ans plus tard, deviendra notre plombier bien connu avec la franchise Super Mario Bros. Mais lassé de la mécanique linéaire à défilement latéral, Miyamoto aspirait à évoquer le monde ouvert et les aventures insouciantes de son enfance à Sonobe, une ville située juste à l'ouest de Kyoto. En 1986, Nintendo a sorti The Legend of Zelda, concrétisation de ce souhait de gameplay.

Avec ce Mario et ce Link à son actif, il est considéré très vite comme le plus important concepteur de jeux vidéo de l’histoire, et ce dès 1993, lorsque le journaliste David Sheff publie "Game Over : How Nintendo Zapped an American Industry, Captured Your Dollars, and Enslaved Your Children". Miyamoto devient rapidement une icône, une personnalité indissociable de l’image de Nintendo, au même niveau que les mascottes de ses jeux, même si chaque jeu tire profit du travail d’équipes de plus en plus importantes dont il reste l’architecte.

Ses jeux se vendent par millions. Il est écouté, joue un rôle majeur dans la conception de la Wii et a tenté de pousser le gameplay asymétrique via la Wii U (même si ce dernier aspect restera un demi-échec, la console à la formidable logithèque ne réussira pas à percer suffisamment commercialement, faisant la joie des portages sur Switch aujourd’hui, même si certains titres au gameplay trop spécifique à la Wii U ne pourront pas passer la case du portage).

Son rêve de donner un avenir à ses créations à la Disney se concrétisent aujourd’hui. Il a supervisé la conception et les travaux d’installation du Super Nintendo World aux studios Universal d’Osaka (un joli budget d’un demi-milliard de dollars), il surveille les avancées du film autour de Mario produit par Chris Meledandri, le producteur de "Moi, moche et méchant" et les studios Illumination, les créateurs des "Minions", pour une sortie cinéma courant 2022. Mais il n’oublie pas son métier de base et son attachement viscérale à apporter de la joie dans chacun de ses titres en mettant de côté la violence.

Une interview pleine de sagesse !

Cependant, parler au maître n’est pas si facile car son côté un peu mystique a fait que Nintendo a tendance à tenir à l’écart Monsieur Miyamoto des médias. Quand prendra-t-il sa retraite ? L’homme ne semble pas encore totalement prêt et chaque rumeur de départ a tendance à agiter le cours de l’action de la société. C’est donc une conversation très intéressante à laquelle nous vous invitons, que nous avons traduite ci-dessous, et qui est à retrouver sur le site du New Yorker, à condition d’avoir souscrit à leur offre pour pouvoir la lire intégralement.

NY : Je pense que des félicitations s'imposent. Joyeux anniversaire. Êtes-vous une personne pour qui il est facile d'acheter des cadeaux ?
M : En fait, je n'achète pas beaucoup de cadeaux pour les autres, ce qui signifie que je trouve délicat de recevoir des cadeaux. Il est peut-être difficile pour les gens de choisir les choses à m'offrir. J'ai reçu un gâteau d'anniversaire aux studios Universal lorsque j'y étais cette semaine, ainsi que ce T-shirt. [Il montre son tee-shirt noir, avec le logo de Super Nintendo World].
NY: - O.K. Où êtes-vous en ce moment ?
M : Je suis dans ma maison à Kyoto, pas aux Studios Universal, comme l'arrière-plan le suggère.
NY : Kyoto abrite les bureaux de Nintendo depuis plus de cent ans. Elle est devenue un lieu de pèlerinage pour certains. Dans mon esprit, elle a l'aura de la Chocolaterie de Willy Wonka : un bâtiment secret rempli de merveilleux inventeurs travaillant sur des choses qui nous raviront. Suis-je assez proche de cette présentation ?
M : Une fois que vous entrez dans le bâtiment, c'est un peu comme vous l'avez décrit. Mais à l'extérieur, c'est très simple et propre, juste un simple bâtiment carré. Certaines personnes ont même comparé la réception à une salle d'attente d'hôpital. C'est assez serein.
NY : Lorsque vous passez devant la réception, est-ce que l'environnement contribue à inspirer le genre de créativité pour lequel Nintendo est connue ?
M : Eh bien, comme je l'ai dit, le bâtiment est simple. Le personnel peut apporter tous les jouets ou figurines qu'il souhaite, mais nous avons un système qui permet aux concepteurs de changer de bureau en fonction du projet sur lequel ils travaillent. Comme il n'y a pas de placement fixe, les gens n'ont pas beaucoup d'effets personnels autour d'eux. Je pense que si un enfant se rendait sur place et regardait l'espace, cela pourrait sembler un peu ennuyeux. La base du travail créatif se fait dans l’esprit de chaque intervenant. Il n'a pas besoin d'un environnement unique. Bien sûr, nous avons tout l'équipement nécessaire pour faire notre travail : studios de capture de mouvements, studios de son. Et nous avons aussi une cafétéria bien éclairée, avec de la bonne nourriture.
NY : Vous travaillez chez Nintendo depuis quatre décennies désormais. Qu'est-ce qui vous motive encore dans votre travail et vous donne l’envie d’aller au bureau ?
M : Ce n'est pas tant l'environnement qui me donne envie d'y aller que le fait que, pendant le week-end, je passe encore beaucoup de temps à penser aux jeux. Le lundi, j'ai généralement hâte de retourner au travail. C'est pourquoi j'envoie parfois des e-mails pendant le week-end, ce que les gens n'apprécient pas toujours.
NY : Quelle est la dernière idée qui vous a fait ressentir cela ?
M : Récemment, j'ai été très impliqué dans les studios Universal à Osaka, en planifiant les attractions qui y seront et en mettant la touche finale aux manèges. J'ai également participé à la création de jeux pour téléphones portables. Comme je peux facilement tester et jouer à ces jeux à la maison, le week-end, le lundi, j'ai généralement une longue liste de choses que je veux essayer et explorer.
NY : Super Mario Bros. a trente-cinq ans cette année. C'est la moitié d'une vie. Comment vous sentez-vous ?
M : Peu après que Super Mario soit devenu célèbre, quelqu'un m'a dit que j'avais atteint le statut de Walt Disney. Je me souviens avoir fait remarquer qu'à l'époque, Mickey Mouse avait plus de cinquante ans, alors que Mario n'existait que depuis deux ou trois ans. Il y avait donc beaucoup de choses à rattraper. Je crois que la qualité de quelque chose dépend du fait qu’on y pense encore, plusieurs décennies après sa création. Walt Disney n'a pas créé tout ce que Disney a mis en place, mais l'idée qu'une entreprise puisse fabriquer ces symboles durables - c'est quelque chose que j'ai admiré. Nous sommes enfin arrivés à un point où les gens qui ont joué avec les personnages de Nintendo quand ils étaient enfants jouent avec ces mêmes personnages avec leurs enfants. Cette longévité est spéciale.
NY : Avez-vous des enfants ou des petits-enfants ?
M : Oui, j'ai deux enfants et un petit-enfant.
NY : Je vous demande cela parce que, quand j'étais jeune - et je pense que c'est probablement quelque chose qui s'est passé dans beaucoup d'écoles - il y avait un enfant qui se vantait que son père travaillait pour Nintendo, et personne ne le croyait. Pour vos enfants, non seulement c'était vrai, mais ils partageaient aussi leur père avec Super Mario. Leurs amis ont-ils jamais douté d'eux ?
M : Je pense que mes enfants ne se souciaient pas trop de mon métier, pour être honnête. Même avec leurs amis, de temps en temps, il arrivait qu'un grand fan vienne nous rendre visite, mais la plupart du temps, nous avons pu simplement passer du temps en famille. Ils n'ont certainement jamais ressenti de pression pour suivre un certain chemin ou pour être d'une certaine manière. À la maison, je suis un père normal. Je ne pense pas qu'ils aient ressenti un fardeau excessif à cause de l'identité de leur père.
NY : Dans le cadre du confinement, des millions de parents ont essayé de faire en sorte que leurs enfants maintiennent une relation saine avec les jeux vidéo - ne pas jouer trop longtemps, etc. Comment avez-vous négocié ces choses avec vos propres enfants ?
M : Les enfants ont l'impression qu'ils ne peuvent pas s'arrêter de jouer parce que le jeu est tellement amusant - c'est quelque chose que je peux comprendre et avec lequel j’ai de la sympathie. Il est important que les parents jouent aux jeux, qu'ils comprennent pourquoi l'enfant ne peut pas arrêter avant d'avoir atteint le prochain point de sauvegarde, par exemple. En ce qui concerne mes propres enfants, j'ai eu la chance qu'ils aient toujours eu une bonne relation avec les jeux vidéo. Je n'ai jamais eu à les restreindre ou à leur retirer des jeux.
Il est important de noter que, dans notre maison, tout le matériel de jeu vidéo m'appartenait, toutes les consoles, et que mes enfants comprenaient qu'ils ne faisaient que de les emprunter. S'ils ne pouvaient pas suivre les règles, il était entendu que je pouvais simplement leur retirer la machine. Quand il faisait beau dehors, je les encourageais toujours à jouer dehors. Ils jouaient aussi beaucoup aux jeux Sega, d'ailleurs.
NY : Vraiment ? N'avez-vous jamais été jaloux qu'ils jouent aux jeux d'un rival ?
[Rires.] Pas jaloux, mais plutôt inspiré à faire encore mieux, afin qu’ils préfèrent les jeux que je créais.
NY : Quels jeux de Sega appréciaient-ils ?
M : Ils ont aimé les jeux de course. Out Run. Ils ont aussi beaucoup joué à Space Harrier.
L'autre jour, j'ai eu la chance de pouvoir jouer avec mon petit-fils. Il jouait à un jeu Nintendo nommé Captain Toad, et ses yeux brillaient ; il était vraiment à fond dans cette expérience. J'ai donc pu voir comment un parent peut s'inquiéter de l'immersion de son enfant dans un jeu. Mais, dans la conception de mes jeux, je veux toujours encourager une relation entre un parent et son enfant qui soit fondamentalement nourrissante. J'aidais mon petit-fils à naviguer dans le monde en 3D à l'intérieur du jeu, et je pouvais voir la structure en 3D se construire dans la tête de cet enfant de cinq ans. Je me suis dit que cela pourrait aussi l'aider à grandir.
NY : Je crois aux jeux vidéo en tant que médium, et je pense qu'ils peuvent souvent nous dire des choses sur nous-mêmes qui sont différentes de ce nous procure la littérature ou le cinéma. Il y a aussi une partie de moi qui reconnaît qu'ils peuvent occuper un peu trop de place dans la vie d'une personne. Ils sont exigeants et séduisants ; l'obsession qu'ils inspirent peut faire mettre de côté des choses importantes. Votre travail, en général, consiste à maintenir l'engagement des joueurs. Ne ressentez-vous jamais une contradiction entre ce rôle et la responsabilité de proposer au monde des choses qui n’avilissent pas les gens ?
M : Il est assez difficile de construire un jeu que le joueur peut quitter à tout moment. Les êtres humains sont animés par la curiosité et l'intérêt. Lorsque nous rencontrons quelque chose qui inspire ces émotions, il est naturel de se laisser captiver. Cela dit, j'essaie de faire en sorte que rien de ce que je fais ne fasse perdre du temps aux joueurs en leur faisant faire des choses qui ne sont pas productives ou créatives. Je peux éliminer le genre de scènes qu'ils ont vues dans tous les autres jeux, ou jeter les clichés, ou travailler à réduire les temps de chargement. Je ne veux pas voler du temps au joueur en introduisant des règles inutiles et tout le reste.
Ce qui est intéressant avec les médias interactifs, c'est qu'ils permettent aux joueurs de s'attaquer à un problème, d'évoquer une solution, d'essayer cette solution, puis de constater les résultats. Ils peuvent ensuite revenir à la phase de réflexion et commencer à planifier leur prochaine action. Ce processus d'essais et d'erreurs construit le monde interactif dans leur esprit. C'est la véritable toile sur laquelle nous concevons, et non l'écran. C'est une chose que je garde toujours à l'esprit lorsque je conçois des jeux.
C'est très bien dit.
M : Cette idée de ne pas perdre de temps, c’est une chose à laquelle je pense aussi durant le processus de création. J'essaie de réduire autant que possible le temps passé sur le travail de routine au bureau et d'augmenter le nombre de nouvelles expériences que nous avons pendant la phase de création.
NY : Vous avez connu beaucoup de succès dans votre vie. Je ne veux pas être indiscret, mais cela vous a-t-il rendu heureux ?
M : Oui, ça m'a rendu heureux. Au début, quand la Famicom est sortie [NLRD de l’auteur : la première console de jeu vidéo de Nintendo, sortie en 1983, mais nous pourrons objecter toutes les Game & Watch sorties en 1980 et surtout les « TV Game 15 » et « TV Game 6 » parues en 1977], je pensais que créer quelque chose d'amusant suffirait à lancer les ventes.
Comme de plus en plus de jeux étaient créés, j'ai réalisé que même si vous créez quelque chose d'amusant, vous ne réaliserez pas nécessairement des ventes en nombre à moins que vous ne puissiez attirer l'attention dessus. Nous avons vécu cela de nombreuses fois durant les premières années. Il était très difficile de trouver des magazines pour parler sur les jeux vidéo. Je me souviens d'être allé rencontrer les éditeurs pour leur demander de présenter certains de nos travaux et de leur avoir dit que ce n'était pas quelque chose que je devais faire en tant que créatif - que je devais laisser cela aux vendeurs. Chaque fois qu'un jeu ou un matériel avait un peu d'attention dans la presse, c'était très important pour nous.
Puis des magazines qui ne couvraient que les jeux ont commencé à paraître, et tout ce que nous construisions était immédiatement mis en avant. J'ai apprécié ce changement. Cela a permis d'apprécier les choses que nous fabriquions.
NY : J'ai toujours pensé qu'il y avait quelque chose de divin dans la fabrication des jeux. Vous imaginez un monde, vous définissez les règles d'une réalité, puis vous placez des petits personnages dans cette réalité. Le fait d'être un créateur de jeux vous a-t-il déjà amené à réfléchir aux règles de cet univers ?
M : Pas particulièrement, mais quand j'essaie de créer un monde de jeu, j'aime travailler sur l'action, le mouvement. Dans cette expérience, il doit y avoir un mélange entre ce qui est réel et ce qui ne l'est pas. Il doit y avoir un lien avec notre expérience du monde réel, de sorte que lorsque vous faites un mouvement dans le jeu, il vous semble familier mais aussi, d'une certaine manière, différent. Pour parvenir à cette harmonie, il faut un pointe de vérité et un gros mensonge pour l'accompagner. C'est le genre de jeu que j'essaie de créer. Vous prenez des choses que vous avez vécues dans votre vie, des sensations ou des sentiments, et vous essayez ensuite de les évoquer dans le monde du jeu.
NY : Que changeriez-vous dans ce monde, si vous pouviez le concevoir ?
M : J'aimerais pouvoir faire en sorte que les gens soient plus attentionnés et plus bienveillants les uns envers les autres. C'est quelque chose auquel je pense beaucoup en prenant de l’âge. Au Japon, par exemple, nous avons des sièges prioritaires dans les trains, pour les personnes âgées ou en situation de handicap. Si le train est relativement vide, vous verrez parfois des jeunes s'asseoir sur ces sièges. Si je leur disais quelque chose, ils me répondraient probablement : "Mais le train est vide, quel est le problème ? Mais si j'étais une personne handicapée et que je voyais des gens assis là, je ne voudrais peut-être pas leur demander de se déplacer. Je ne voudrais pas les embêter.
M : J'aimerais que nous soyons tous un peu plus compatissants durant ces petites situations. S'il y avait une façon de concevoir le monde en décourageant l'égoïsme, alors ce serait un changement que j'apporterais.
NY : Il y a une histoire à votre sujet qui a été largement partagée encore récemment (NDLR, nous vous proposons de relire notre article sur ce sujet ici). C’est au sujet du jeu Goldeneye sur Nintendo 64, qui est basé sur le film de James Bond. Le réalisateur du jeu, Martin Hollis, m'a dit que lorsque vous avez testé le jeu pour la première fois, vous avez exprimé votre tristesse devant le nombre de personnes que Bond abattait, et lui avez suggéré que, pendant le générique de fin, il fasse en sorte que le joueur rende visite à chaque victime dans son lit d'hôpital. C'est une belle histoire qui en dit long sur qui vous êtes et sur ce que vous croyez que les jeux devraient être. Que pensez-vous du fait que le milieu du jeu vidéo en soit venu à être dominé par les armes et les fusillades ?
M : Je pense que les humains sont naturellement faits pour ressentir de la joie quand ils lancent une balle et touchent une cible, par exemple. C'est la nature humaine. Mais, en ce qui concerne les jeux vidéo, j'éprouve une certaine réticence à me concentrer sur cette seule source de plaisir. En tant qu'êtres humains, nous avons de nombreuses façons d'éprouver du plaisir. L'idéal serait que les concepteurs de jeux explorent ces autres moyens. Je ne pense pas qu'il soit nécessairement mauvais qu'il y ait des studios qui s'intéressent vraiment à cette simple mécanique, mais ce n'est pas idéal que tout le monde le fasse juste parce que ce genre de jeu se vend bien. Ce serait formidable si les développeurs trouvaient de nouvelles façons de faire plaisir à leurs joueurs.
Au-delà de cela, je suis aussi réticent face à l'idée que c'est bien de tuer tous les monstres. Même les monstres ont un mobile, et une raison pour laquelle ils sont comme ils sont. C'est quelque chose à laquelle j'ai beaucoup pensé. Disons que vous avez une scène dans laquelle un cuirassé coule. Si vous le regardez depuis l'extérieur, il pourrait être le symbole de la victoire dans la bataille. Mais un cinéaste ou un écrivain pourrait changer de perspective et nous monter les gens à bord du navire, pour permettre au spectateur de voir, de plus près, l'impact humain de cette même action. Il serait bon que les réalisateurs de jeux vidéo prennent davantage de mesures pour changer cette perspective, au lieu de toujours regarder une scène sous l'angle le plus évident.
NY : Quel genre de boss pensez-vous être ?
M : Vous voulez dire, si j'étais un boss de jeu vidéo ?
NY : Non, quel genre de responsable.
M : Quand les gens me regardent, je pense qu'ils s'imaginent probablement que je suis très gentil. Mais si vous demandez aux personnes en première ligne, celles qui travaillent réellement avec moi, elles pourraient dire que je suis très pointilleux, ou que je commente toujours leur travail. J'ai eu le plaisir de grandir dans un environnement où les gens m'ont fait des éloges. Mais je suis conscient que les gens qui travaillent avec moi ont le sentiment de ne pas recevoir suffisamment d'éloges, que je suis toujours pointilleux sur leur travail.
NY : Je ne veux pas transformer cela en entretien d'embauche - d'abord, je ne pense pas que vous cherchez - mais quels sont vos points forts et vos points faibles en tant que boss ?
M : Dans ce travail, nous devons créer un produit, ce qui nécessite une certaine planification. Mais il est également important de parler de ces plans dans un autre registre, pas seulement comme un produit, mais comme si c'était un rêve, ou une vision. Je pense que ma force réside dans le fait que je suis capable de brosser un tableau convaincant de ce que peut être un projet, tout en me souciant des détails de la réalisation effective de ce rêve. C'est pourquoi j'ai l'impression que les gens me voient comme une personne négative lorsque je m'occupe des détails, et comme une personne très positive lorsque je parle en termes de vision plus large.
Je crois aussi qu'un sentiment partagé de réussite ne devrait venir qu'après que les joueurs aient réellement apprécié leur jeu. Avant cela, les gens pourraient me voir comme un patron méchant, qui essaie de nous faire passer par les moments difficiles. Mais je pense que c'est ce qui détermine si quelqu'un est un bon leader ou non.
NY : Je pose la question parce qu'il y a eu un coup de projecteur sur des hommes qui occupent des postes si importants dans une entreprise qu'il leur devient facile d'abuser de ce pouvoir. Surtout dans les industries créatives (NDLR de Sebiorg : est-ce une référence aux différentes affaires qui ont secoué encore récemment Ubisoft et notamment les accusions de management difficile autour de la personnalité de Michel Ancel, créateur de Rayman ? Nous avions consacré deux articles à ce sujet ici et). Je ne dis pas que cela s'applique à vous, mais comment avez-vous essayé de vous assurer, au fil des ans, que le pouvoir ne vous est pas monté à la tête ?
M : Lorsque les gens essaient de créer de nouvelles expériences, il y a toujours un certain niveau d'insécurité et d'inquiétude. Mais il y a aussi une appréciation des personnes qui ont de l'expérience, qui peuvent nous rassurer sur le fait que les choses vont s'arranger. C'est comme ça que je vois mon rôle : c'est être un soutien d'équipe autant qu'un leader créatif. Je suis conscient de la vulnérabilité qu'implique le fait que quelqu'un m'apporte une idée ou un concept. Je fais très attention à ne pas faire taire la personne, et j'essaie de prendre sa suggestion en considération. La seule chose sur laquelle je me concentre, c'est de m'assurer que les gens essaient de créer de nouvelles expériences. Ce genre d'attention permet d'éviter que tout le monde, y compris moi-même, ne s'installe. J'espère que cela contribue également à ce que je sois considéré comme un bon patron.
NY : En parlant de nouvelles expériences, de plus en plus de créateurs de jeux s'intéressent à l'exploration des thèmes de la tristesse, de la perte et du deuil. C'est quelque chose que vos jeux ont évité pour la plupart, peut-être en raison des racines de Nintendo en tant que fabricant de jouets, de son souci de créer des choses pour les enfants. Regrettez-vous de ne pas avoir l'occasion d'explorer ces thèmes dans votre travail ?
M : Les jeux vidéo sont un média actif. En ce sens, ils ne requièrent pas d'émotions complexes de la part du concepteur ; ce sont les joueurs qui prennent ce que nous leur donnons et y répondent à leur manière. Les émotions complexes sont difficiles à gérer dans les médias interactifs. J'ai participé à des films, et les médias passifs sont beaucoup plus adaptés pour aborder ces thèmes. Avec Nintendo, l'attrait de nos personnages est qu'ils rassemblent les familles. Nos jeux sont conçus pour procurer une sensation de chaleur ; chacun peut profiter de son temps pour jouer ou regarder.
Par exemple, lorsque je jouais avec mon petit-fils récemment, toute la famille était réunie autour de la télévision. Lui et moi étions concentrés sur ce qui se passait à l'écran, mais ma femme et les autres étaient concentrés sur l'enfant, profitant de la vue de ce dernier en train de jouer. J'étais très heureux que nous ayons pu produire quelque chose qui facilite ce genre d'expérience commune. C'est le cœur du travail de Nintendo : faire sourire les joueurs. Je n'ai donc aucun regret. J'aurais plutôt aimé pouvoir apporter plus de joie, plus de rires.
NY : En vieillissant, j'ai l'impression que les jeux sont l'une des choses qui me permettent de rester jeune. Ils nourrissent mon sens du jeu et me permettent de m'intéresser au monde. De quelle manière les jeux ont-ils influencé votre perception de vous-même ou du monde ?
M : Je ne pense pas que la création de jeux vidéo ait changé ma façon de voir le monde ou de me voir, mais leur influence a certainement influencé d'autres domaines de ma vie. On m'a demandé : "Que ferez-vous lorsque les jeux vidéo ne seront plus à la mode ? Même si cela devait arriver, les expériences numériques font de plus en plus partie de la vie humaine. Mon intérêt à m'engager dans ces opportunités n'a fait que croître.
NY : Vous avez parlé tout à l'heure de Walt Disney et de son héritage. Quelles sont vos ambitions à ce stade de votre vie et de votre carrière ?
M : En ce qui concerne l'activité de Nintendo, l'idée principale est de créer une harmonie entre le matériel et les logiciels. Cela a pris une dizaine d'années, mais je pense que la jeune génération ici présente est maintenant tout à fait capable de faire respecter ce principe fondamental. Pour ma part, je veux continuer à faire ce qui m’intéresse. Nintendo s'est développé dans de nouveaux domaines de la conception, comme celui des parcs à thèmes sur lequel je travaille. Quand on y pense, le design d'un parc à thèmes est similaire à celui d'un jeu vidéo, bien qu'il soit entièrement axé sur l'aspect matériel. Dans un sens, je suis à nouveau un amateur. Mais à mesure que ces manèges deviendront plus interactifs, c'est là que notre expertise sera mise à profit. Ce mélange de notre expérience avec de nouveaux contextes pourrait être l'une des entreprises les plus intéressantes pour les années qu'il me reste à vivre.
NY : J’aimerais revenir à cette comparaison avec Willy Wonka. Dans “Charlie et la chocolaterie”, Wonka organise une compétition dans le but secret de trouver quelqu’un avec les qualités nécessaires pour le remplacer. Je ne veux pas dire que vous cherchez un remplaçant. Mais Nintendo existait bien avant que vous ou moi ne soyons nés et existera, j'en suis sûr, bien après que vous et moi soyons partis. Quelle qualité pensez-vous que Nintendo doit protéger pour continuer à être Nintendo ?
M : Comme la société a gagné de nouveaux concurrents au fil des ans, cela nous a donné l'occasion de réfléchir profondément à ce qui fait la marque Nintendo. Shuntaro Furukawa, [le président], a actuellement la quarantaine et Shinya Takahashi, [le directeur général], la cinquantaine. Nous arrivons au point où nous sommes assurés que l’esprit de Nintendo est correctement transmis. Je n’ai plus à m’en inquiéter. Je me concentre maintenant sur la nécessité de continuer à trouver de nouvelles expériences. C'est ce qui m'a toujours intéressé et excité dans le milieu : ne pas perfectionner l'ancien mais découvrir le nouveau.
Source : The New Yorker, interview réalisée par Simon Parker
C'est une interview très intéressante que nous a proposée The New Yorker. Même si certains passages nous rappellent des propos utilisés par Monsieur Miyamoto dans d'autres interviews, parfois à la tournure près, elle se montre suffisamment éclairante et illustrative sur cette personnalité hors norme et attachante. Même si le génial créateur sait que le flambeau est passé dans de bonnes mains, que cela soit pour les nouvelles aventures de Mario ou de Link, on peut tout de même se demander si l'esprit de Nintendo restera bien toujours le même après son départ, lorsque la génération actuelle passera à son tour le relais. Miyamoto a su insuffler dans le monde du jeu de vidéo une dose de candeur pour proposer des titres intergénérationnels, avec un gameplay dont on prend toujours plaisir en relançant le titre bien des années après avoir l'achevé une première fois. Des jeux dont l'accessibilité a rassuré déjà deux générations de parents. Il est intéressant de noter également que Miyamoto évoque avoir encore travaillé autour de jeux pour smartphones (indice peut-être de nouveaux titres à venir même si nous pensons en priorité à l'interface du bracelet intelligent spécial, appelé «Power-Up Band», pour interagir avec les différentes parties de la zone traversée du Super Nintendo World. Le groupe se connecte à votre smartphone pour que vous puissiez suivre vos activités dans le parc). Il faut croire que le maître ne prendra jamais vraiment sa retraite, si la santé lui permet, car entre les trois autres parcs devant être construits (et pour le moment mis en pause pour cause de pandémie) et la sortie du film Mario, il lui reste encore un agenda bien fourni jusqu'à 2023 au minimum. Une date qui correspond bien souvent à l'après Switch.
Commentaires sur l'article

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Darkboyfun
A un moment quand ils parlaient de deuil ou mort dans les jeux videos Nintendo on a un jeu auquel a pensé vraiment Nintendo a la mort ... PIKMIN ! on s'attache a ces petites betes et quand un ennemie les mangent on voit leur ames partir et ca fait mal au coeur tellement qu'on est attachés aux PIKMIN !
maianico
Eternal darkness aussi dans une certaine mesure.
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