Interview
Interview des développeurs de Castlevania : Lords of Shadow sur 3DS
Quel plaisir de pouvoir passer un moment entre deux personnes responsables du sort de la franchise Castlevania sur la nouvelle portable de Nintendo : Dave Cox et Enric Alvarez répondent à toutes nos questions !
Interview
Entre deux essais de jeux Wii U à l'E3, nous avons eu l'occasion de nous asseoir en compagnie des développeurs de Castlevania : Lords of Shadow – Mirror of Fate. Ce fut l'occasion pour nous, et deux autres journalistes, d'en apprendre un peu plus sur ce titre 3DS, véritable pont entre le titre original, sorti sur consoles HD, et Lords of Shadow 2. Quels sont les spécificités de ce premier opus portable de la série depuis Order of Ecclesia, sorti en 2008 sur Nintendo DS ? Comment MercurySteam, un studio espagnol, s'est-il vu confié l'une des franchises les plus mythiques du jeu vidéo ?
Pour répondre à nos questions aujourd'hui : Dave Cox, producteur de la série Lords of Shadow, et Enric Alvarez, co-fondateur de MercurySteam et Game Director.
PN : Bonjour, et merci de nous avoir accordé cette interview. Alors, on va tout de suite rentrer dans le vif du sujet, et parler un peu de l'histoire. De toute évidence, Mirror of Fate est directement lié à Lords of Shadow 1 et 2, mais de quelle façon ? S'agit-il d'un préquel, d'une suite ?
Dave Cox : Il se situe entre les deux. Il faut savoir que la saga des Lords of Shadow est une trilogie. Il y a tout d'abord Lords of Shadow, une sorte de 'Dracula Begins', avec Dracula comme personnage principal. Quant à Lords of Shadow 2, il vient clore la saga. Mais dans Mirror of Fate, qui se situe entre les deux jeux, Dracula n'est pas un personnage jouable. Ceci dit, il est tout à fait possible de jouer à chaque jeu séparément. Ils ont chacun leur propre histoire. Mais si vous voulez profiter de l'expérience complète, de toute l'histoire, alors il vous faudra jouer aux trois jeux.
PN : Auparavant, c'est le célèbre Koji Igarashi qui était responsable des Castlevania sur consoles portables. Et avec Mirror of Fate, on a vraiment l'impression d'être face à un classique de la série, à l'exception des graphismes. Le jeu est vraiment très réussi et impressionnant. Mais comment se fait-il que vous ayez hérité de la franchise ?
DC : Cela remonte au tout début du développement de Lords of Shadow. La série des Castlevania était alors sur le déclin, et Konami est venu nous demander si on ne pouvait pas faire un reboot de la franchise, lui donner un nouveau souffle. Bien évidemment, nous avons pris des risques, nous avons fait prendre à la série une direction totalement nouvelle.
Cependant, même si le jeu était tout de même très proche des précédents jeux Castlevania, je pense que nous avons vraiment réussi à créer quelque chose de neuf. De plus, le jeu a eu beaucoup de succès, c'est le jeu Castlevania qui s'est le plus vendu. Ce succès nous a permis de gagner la confiance de Konami Japon, qui nous a alors dit : ''Allez, c'est bon, faites ce que vous voulez avec la série, vous avez carte blanche.''
Nous voulions vraiment conserver l'univers que nous avions créé pour Lords of Shadow, et c'est ce qu'on a fait. On a pris l'atmosphère des précédents jeux Castlevania, ainsi que des éléments bien connus de la série, même s'il s'agit bel et bien d'un jeu de la saga des Lords of Shadow. On peut facilement considérer Mirror of Fate comme une version portable de Lords of Shadow. Mais notre but n'était pas de créer un nouveau 'Metroidvania'.
Vous retrouverez des éléments bien connus de la série, mais en ce qui concerne les combats, l'univers, c'est vraiment quelque chose que les fans de Lords of Shadow vont apprécier.
PN : Dans le numéro de juin du magazine Nintendo Power, vous expliquez qu'il y aura non pas un, mais quatre personnages jouables. D'où vous est venue cette idée ?
DC : Lors de nos discussions sur le scénario du jeu, nous nous sommes rendus compte que nous voulions expliquer l'histoire des Belmont, notamment pourquoi cette famille est la seule qui puisse faire face à Dracula. De plus, nous voulions vraiment voir ces personnages évoluer dans l'univers que nous avions créé pour Lords of Shadow, les voir sous un nouveau jour, et c'est de là qu'est venu cette idée de proposer quatre personnages jouables. Ils ont chacun leurs propres magies, leur propres capacités, leur propre système de combat. De plus, l'histoire de se déroule sur une longue période, sur plusieurs années.
PN : Mais comment le changement s'effectue-t-il précisément ? Est-il définitif, ou bien est-il possible d'incarner un personnage plusieurs fois, et à différents moments du jeu ?
DC : Tout d'abord, il faut savoir que vous ne choisissez pas le personnage que vous contrôlez, le changement s'effectue automatiquement, mais pas nécessairement en respectant l'ordre chronologique. De plus, certaines des capacités que vous apprenez sont ensuite transmises aux personnages suivants.
PN : Récemment, on a vu beaucoup de studios japonais demander de l'aide à leur homologues occidentaux, et Lords of Shadow en est justement un très bon exemple, puisque le jeu a eu beaucoup de succès. En effet, vous avez réussi là où beaucoup ont échoué. Comment avez-vous fait pour tirer le meilleur de la série, tout en lui apportant votre propre touche personnelle ?
Enric Alvarez : Je crois que l'on peut résumer ça en un mot : 'La Passion'. Quand Konami est venu frapper à notre porte, on savait que c'était notre chance, que nous nous devions de saisir cette opportunité. Dans cette industrie, le talent ne suffit pas, il vous faut également des opportunités, et nous étions bien conscients que c'en était une à ne surtout pas manquer. Nous avons vraiment travaillé d'arrache-pied sur ce titre. Même si le jeu en lui-même suggère le contraire, nous étions vraiment une petite équipe à travailler sur Lords of Shadow.
La raison pour laquelle nous avons réussi est la suivante : l'industrie du jeu vidéo n'est pas très développée en Espagne. Alors quand un éditeur comme Konami confie à un studio espagnol une série aussi importante que Castlevania, tout le monde dans l'équipe travaille d'arrache-pied afin de produire le meilleur jeu qui soit. C'est vraiment un effort collectif, ce n'est pas le fruit du travail d'un seul développeur talentueux. Ces temps-là sont révolus, du moins pour les titres AAA.
L'équipe était tellement impressionnée de s'être vue offrir une telle opportunité qu'ils ont donné le meilleur d'eux-mêmes. J'ai pu le voir chaque jour : toute cette passion, tout ce talent... cette volonté de réussir, de mener à bien ce projet. C'est la raison pour laquelle nous avons réussi. Le produit final est vraiment honnête et généreux : ce n'est pas un jeu avec un très bon début, une très bonne fin, mais au milieux, c'est tout mou, ennuyeux. Il y a vraiment beaucoup de contenu, ce qui offre aux joueurs de nombreuses raisons de continuer leur partie, que ce soit une surprise, un combat spécial, un challenge, une cinématique...
Au final, nous nous sommes retrouvés avec un jeu proposant environ 20 à 30 heures de gameplay, alors que notre objectif était 10 heures. Le jeu était beaucoup trop long, mais il était trop tard pour faire marche arrière. Nous avons alors insisté, et je crois que c'est pour cette raison que les critiques ont été aussi positives, que les joueurs ont autant apprécié le jeu.
DC : Je crois qu'il est crucial d'accorder à l'équipe la liberté nécessaire pour leur permettre de faire de leur vision une réalité. L'équipe avait vraiment une très bonne idée de ce qu'ils voulaient faire, ils avaient la passion. Du point de vue du producteur, il faut vraiment leur accorder beaucoup de liberté, ne pas avoir peur de les laisser prendre des risques et des décisions qui surprendront les gens. Je crois que c'est pourquoi les joueurs ont vraiment accepté Lords of Shadow comme quelque chose de neuf, une véritable bouffée d'air frais. Ces gars-là n'avaient pas pas peur de prendre les décisions difficiles que nous nous devions de prendre.
Je crois que c'est pour cette raison que Konami nous a donné le feu vert pour créer une suite à Lords of Shadow. Nous avons vraiment de la chance d'avoir une telle opportunité. Grâce au succès du premier jeu, nous allons pouvoir clore l'histoire que nous avons commencé. Et nous savions depuis le début ce que nous voulions en faire, de cette histoire. Et maintenant, il va nous falloir dépasser les attentes des joueurs, on ne va pas se contenter de faire la même chose que pour Lords of Shadow. Mirror of Fate sera un jeu beaucoup plus sombre, beaucoup plus épique.
MS : Je crois que nous avons beaucoup de maturité. Dave a rejoint Konami en 1996, il me semble, juste avant que Symphony of the Night ne sorte. En tant que joueur, il a grandi avec la série, il l'a adoré... il a joué à tous les opus. En tant que professionnel, il travaille sur cette série depuis Symphony of the Night. Nous avons donc une équipe vraiment exceptionnelle qui travaille sur ce jeu. Au final, ce sont vraiment les personnes qui composent l'équipe qui font la différence.
EA : Je suis tout à fait d'accord.
PN : Les jeux de studios japonais sont souvent radicalement différents de ceux de studios occidentaux. Selon-vous, quels sont les différences en matière de développement de jeux entre le Japon et l'Europe ?
EA : Je crois qu'il y a une énorme différence de culture entre l'Europe et le Japon. Le management ne fonctionne pas de la même manière, nous travaillons et progressons de façon différente. Il y a beaucoup d'aspects qui diffèrent. Les japonais visent plutôt la perfection : ils passent beaucoup de temps à réaliser des prototypes, et ils ne passent à l'étape suivante que quand la précédente est complètement terminée.
Quant à nous, nous travaillons davantage en parallèle, ce qui est beaucoup plus complexe, pas aussi simple que le développement à la japonaise. Mais 'simple' n'est pas un gros mot. La simplicité n'est pas une mauvaise chose. Mais ce serait tout simplement impossible pour nous de développer un jeu à leur façon, et à vrai dire, ce n'est pas vraiment une mauvaise chose, car au final, les jeux sont vraiment différents.
Les jeux japonais ont vraiment une identité qui leur est propre : ça se voit qu'un jeu en particulier a été développé au Japon, on le reconnaît facilement. Par contre, je ne peux pas en dire autant des jeux développés en Espagne. Donc on fait les choses à notre façon, et c'est une bonne chose.
DC : Konami Japan nous a donné carte blanche, nous sommes donc libres de faire ce que nous voulons vraiment faire. Je crois que cette liberté de l'équipe de développement est vraiment la clé du succès pour les développeurs occidentaux. Et je pense que les choses vont aller en s'améliorant au fur et à mesure que nous apprenons à travailler ensemble, Japon et Europe, Japon et États-Unis.
PN : Vous considérez-vous comme chanceux de la confiance que Konami vous accorde, de jouir d'une telle liberté, alors que d'ordinaire, les compagnies japonaises ont plutôt tendance à garder leurs IPs pour elles-mêmes ?
DC : Oui. Je me considère comme chanceux d'avoir rencontré Enric. Je me considère comme chanceux que M. Kojima nous ait dit de continuer avec le jeu et de ne pas changer le nom... car les gars de Konami Japan étaient très nerveux, à cause de la direction dans laquelle nous emmenions la série. Cela les a rassurés, et cela a beaucoup joué dans la liberté qu'ils nous ont accordé par la suite.
Ce qui est bien avec les sociétés japonaises, c'est qu'une fois que vous leur avez prouvé que vous étiez digne de respect, ils vous respectent, et vous accordent une grande liberté. S'ils avaient tout dirigé depuis le Japon, je crois que nous aurions eu des problèmes. Différence de culture, différentes façons de travailler... Donc oui, je crois que nous avons beaucoup de chance.
EA : Avant d'accepter la proposition de Konami Japan de travailler sur Castlevania, la seule chose dont nous discutions en interne n'était pas le budget, mais ''Est-ce que Konami va nous laisser travailler seuls, de notre côté ?'' Nous avions le sentiment que c'était ce qu'ils allaient faire. La première chose qu'ils nous ont dite a été: ''On veut voir votre propre perspective sur la série des Castlevania. Bien sûr, n'oubliez pas l'héritage de la série, mais vraiment, ce qu'on veut, c'est que la série prenne un nouveau départ. On veut un reboot de la saga, on veut une nouvelle histoire.'' C'était une des conditions clés pour que nous acceptions cette proposition. Et je crois que c'était la bonne décision.
PN : Vous ont-ils expliqué pourquoi ils sont venus vous demander ça à vous, en particulier ?
DC : C'est une histoire très intéressante. J'ai rencontré Enric en 2006, dans le cadre d'un autre projet dans lequel nous étions vraiment très intéressés, mais qui malheureusement n'a pas vu le jour. Mais sa technologie m'avait beaucoup impressionné, et donc nous avons gardé contact. Puis, lors que l'opportunité de rebooter la série des Castlevania s'est présentée, qu'il était question de faire prendre à la série un nouveau départ, de créer quelque chose de nouveau, j'ai tout de suite pensé à Enric.
Nous avons alors créé une démo, et l'avons montré aux gars de Konami Japan. Là, ils ont vraiment pris peur, car c'était quelque chose de radicalement différent des autres jeux de la série. Ils nous alors dit ''Bon, ben... ça s'appellera peut-être pas Castlevania après tout. N'arrêtez surtout pas de développer, c'est trop tard pour ça, mais vous pouvez en faire une nouvelle IP ?''
Ainsi, le jeu n'aurait pas changé, ça aurait toujours été Lords of Shadow, c'est juste qu'il n'y aurait pas eu 'Castlevania' dans le titre. Puis un jour, M. Kojima nous a rendu visite, a vu le jeu, et nous a alors dit : ''Mais pourquoi vous avez changé le titre ? Pourquoi il ne s'appelle pas Castlevania ? Vite, faites marche-arrière !''. Voilà ce qui s'est passé, en résumé.
PN : Concernant l'héritage de la série, qu'est-ce qui, selon vous, constitue le cœur de l'expérience Castlevania ? A quels éléments n'avez-vous pas voulu toucher ?
EA : Un guerrier solitaire, qui part combattre des créature surnaturelles. C'est ce qui constitue le cœur de la série à nos yeux.
DC : La série a beaucoup évolué au cours des années, avec chaque jeu, avec chaque équipe de développement. Néanmoins, nous ressentions le besoin de garder le fouet. Quand j'ai grandi avec la série dans les années 80, c'était ça Castlevania : un gars solitaire avec son fouet.
EA : Je vais vous dire une chose, ça nous simplifierait beaucoup la vie si le personnage principal avait une épée à la place d'un fouet. Non, mais vous avez cette arme, qui fait 8 mètres de long. Avec elle, vous pouvez fouetter vos ennemis sans prendre de risques ou de dégâts, en gardant vos distances. Alors la première chose sur laquelle nous nous sommes concentrés, ce sont les combats, afin que ceux-ci ne soit pas inexistants.
En effet, avec une telle arme, la plupart des ennemis ne peuvent pas vous atteindre, c'était donc loin d'être évident. Après tout, que peuvent-ils faire contre un fouet qui mesure 8 mètres de long ? On a donc beaucoup réfléchi pour rendre les combats plus intéressants.
PN : Dans le passé, les jeux Castlevania sur consoles portables ont toujours été en 2D, avec des graphismes à base de pixels. Cette fois-ci, Mirror of Fate est en 2,5D, à base de polygones. Le changement était-il un choix délibéré de la part de l'équipe, ou une contrainte ? Avez-vous jamais considéré opter pour des graphismes 2D à la place ?
EA : Pas vraiment. Cela n'aurait pas beaucoup de sens de développer un tel jeu sur une console 3D. Nous voulions vraiment tirer un maximum des capacités de la console, en créant un jeu qui garde la même saveur que Lords of Shadow, mais avec une perspective 2,5D. Nous voulions montrer les combats en 3D stéréoscopique, mais sans gêner les joueurs avec des changements de perspective trop fréquents.
Grâce à la 2,5D, on peut garder les combats dans un seul et même plan. Le résultat final est très agréable, et ne donne pas mal à la tête. Mais en même temps, les différents 'plans' offerts par la 3D auto-stéréoscopique nous permette de créer un monde qui est comme une miniature, c'est très charmant.
PN : Que signifie le titre du jeu, Mirror of Fate ?
DC : Chaque personnage va devoir faire face à sa propre destinée. Ils seront tous amenés à faire des choix qui auront une incidence sur leur destin. C'est l'élément central de l'histoire de Mirror of Fate.
PN : Lors de notre essai sur le stand Konami, nous avons eu la sensation que le jeu était très focalisé sur les combats, plutôt longs et intenses, contrairement aux précédents opus portables, davantage axés exploration. S'agit-il d'une décision réfléchie ?
DC : C'est justement l'une des ''fameuses'' spécificités de Lords of Shadow, et nous voulions vraiment créer un jeu qui plaisent aux fans de ce dernier. Et ce qu'ils ont aimé, ce sont justement les combats, et l'aspect stratégique de ces derniers. Nous pensions que c'est quelque chose d'important, et qu'il nous fallait le garder dans cette suite.
Nous voulions que le jeu soit très facile au début. Prenez un Metroidvania, la difficulté est très importante au début du jeu, mais au fur et à mesure que vous progressez, elle baisse, et vers la fin, le jeu est plutôt facile. Nous voulions éviter ça. Au contraire, nous voulions que le jeu soit très facile au début, mais devienne plus difficile de façon progressive, au fur et à mesure que vous progressez dans l'aventure, et que les ennemis deviennent de plus en plus intelligents et rusés. Mais on donne tout même aux joueurs de nouveaux outils, de nouvelles armes, de nouvelles magies.
Ce n'est pas un jeu où l'on se contente de marteler les boutons comme un idiot, ce qui est une erreur que beaucoup de gens ont fait avec Lords of Shadow. Il vous faut vraiment réfléchir à comment vous allez procéder pour vaincre chaque ennemi. Prenez la démo de Mirror of Fate : à un moment, vous récupérez une arme secondaire, un boomerang. C'est un arme très puissante, capable de tuer certains ennemis en un coup. Mais bien souvent, les joueurs ne l'utilisent pas, et préfèrent spammer le fouet à la place.
En fait, il est plus intelligent d'utiliser le boomerang, une arme secondaire qui cause des dégâts de façon continue, puis de passer au fouet, et une fois que l'ennemi est en surbrillance, l'achever avec l'attaque spéciale. De cette façon, les combats sont beaucoup plus courts, alors que si vous vous contentez de spammer le fouet, cela risque de vous prendre un bon moment. Il vous faut vraiment prendre en compte chacun des outils qui sont mis à votre disposition. C'est ça le secret de Castlevania : Lords of Shadow – Mirror of Fate !
Merci à tous deux pour le temps qu'ils ont pu nous consacrer pour parler de Castlevania : Lords of Shadow - Mirror of Fate, un jeu dont la sortie est prévue sur 3DS au cours du dernier trimestre 2012.
Propos recueillis et traduits par Laurent.
PN : Bonjour, et merci de nous avoir accordé cette interview. Alors, on va tout de suite rentrer dans le vif du sujet, et parler un peu de l'histoire. De toute évidence, Mirror of Fate est directement lié à Lords of Shadow 1 et 2, mais de quelle façon ? S'agit-il d'un préquel, d'une suite ?
Dave Cox : Il se situe entre les deux. Il faut savoir que la saga des Lords of Shadow est une trilogie. Il y a tout d'abord Lords of Shadow, une sorte de 'Dracula Begins', avec Dracula comme personnage principal. Quant à Lords of Shadow 2, il vient clore la saga. Mais dans Mirror of Fate, qui se situe entre les deux jeux, Dracula n'est pas un personnage jouable. Ceci dit, il est tout à fait possible de jouer à chaque jeu séparément. Ils ont chacun leur propre histoire. Mais si vous voulez profiter de l'expérience complète, de toute l'histoire, alors il vous faudra jouer aux trois jeux.
PN : Auparavant, c'est le célèbre Koji Igarashi qui était responsable des Castlevania sur consoles portables. Et avec Mirror of Fate, on a vraiment l'impression d'être face à un classique de la série, à l'exception des graphismes. Le jeu est vraiment très réussi et impressionnant. Mais comment se fait-il que vous ayez hérité de la franchise ?
DC : Cela remonte au tout début du développement de Lords of Shadow. La série des Castlevania était alors sur le déclin, et Konami est venu nous demander si on ne pouvait pas faire un reboot de la franchise, lui donner un nouveau souffle. Bien évidemment, nous avons pris des risques, nous avons fait prendre à la série une direction totalement nouvelle.
Cependant, même si le jeu était tout de même très proche des précédents jeux Castlevania, je pense que nous avons vraiment réussi à créer quelque chose de neuf. De plus, le jeu a eu beaucoup de succès, c'est le jeu Castlevania qui s'est le plus vendu. Ce succès nous a permis de gagner la confiance de Konami Japon, qui nous a alors dit : ''Allez, c'est bon, faites ce que vous voulez avec la série, vous avez carte blanche.''
Nous voulions vraiment conserver l'univers que nous avions créé pour Lords of Shadow, et c'est ce qu'on a fait. On a pris l'atmosphère des précédents jeux Castlevania, ainsi que des éléments bien connus de la série, même s'il s'agit bel et bien d'un jeu de la saga des Lords of Shadow. On peut facilement considérer Mirror of Fate comme une version portable de Lords of Shadow. Mais notre but n'était pas de créer un nouveau 'Metroidvania'.
Vous retrouverez des éléments bien connus de la série, mais en ce qui concerne les combats, l'univers, c'est vraiment quelque chose que les fans de Lords of Shadow vont apprécier.
PN : Dans le numéro de juin du magazine Nintendo Power, vous expliquez qu'il y aura non pas un, mais quatre personnages jouables. D'où vous est venue cette idée ?
DC : Lors de nos discussions sur le scénario du jeu, nous nous sommes rendus compte que nous voulions expliquer l'histoire des Belmont, notamment pourquoi cette famille est la seule qui puisse faire face à Dracula. De plus, nous voulions vraiment voir ces personnages évoluer dans l'univers que nous avions créé pour Lords of Shadow, les voir sous un nouveau jour, et c'est de là qu'est venu cette idée de proposer quatre personnages jouables. Ils ont chacun leurs propres magies, leur propres capacités, leur propre système de combat. De plus, l'histoire de se déroule sur une longue période, sur plusieurs années.
PN : Mais comment le changement s'effectue-t-il précisément ? Est-il définitif, ou bien est-il possible d'incarner un personnage plusieurs fois, et à différents moments du jeu ?
DC : Tout d'abord, il faut savoir que vous ne choisissez pas le personnage que vous contrôlez, le changement s'effectue automatiquement, mais pas nécessairement en respectant l'ordre chronologique. De plus, certaines des capacités que vous apprenez sont ensuite transmises aux personnages suivants.
PN : Récemment, on a vu beaucoup de studios japonais demander de l'aide à leur homologues occidentaux, et Lords of Shadow en est justement un très bon exemple, puisque le jeu a eu beaucoup de succès. En effet, vous avez réussi là où beaucoup ont échoué. Comment avez-vous fait pour tirer le meilleur de la série, tout en lui apportant votre propre touche personnelle ?
Enric Alvarez : Je crois que l'on peut résumer ça en un mot : 'La Passion'. Quand Konami est venu frapper à notre porte, on savait que c'était notre chance, que nous nous devions de saisir cette opportunité. Dans cette industrie, le talent ne suffit pas, il vous faut également des opportunités, et nous étions bien conscients que c'en était une à ne surtout pas manquer. Nous avons vraiment travaillé d'arrache-pied sur ce titre. Même si le jeu en lui-même suggère le contraire, nous étions vraiment une petite équipe à travailler sur Lords of Shadow.
La raison pour laquelle nous avons réussi est la suivante : l'industrie du jeu vidéo n'est pas très développée en Espagne. Alors quand un éditeur comme Konami confie à un studio espagnol une série aussi importante que Castlevania, tout le monde dans l'équipe travaille d'arrache-pied afin de produire le meilleur jeu qui soit. C'est vraiment un effort collectif, ce n'est pas le fruit du travail d'un seul développeur talentueux. Ces temps-là sont révolus, du moins pour les titres AAA.
L'équipe était tellement impressionnée de s'être vue offrir une telle opportunité qu'ils ont donné le meilleur d'eux-mêmes. J'ai pu le voir chaque jour : toute cette passion, tout ce talent... cette volonté de réussir, de mener à bien ce projet. C'est la raison pour laquelle nous avons réussi. Le produit final est vraiment honnête et généreux : ce n'est pas un jeu avec un très bon début, une très bonne fin, mais au milieux, c'est tout mou, ennuyeux. Il y a vraiment beaucoup de contenu, ce qui offre aux joueurs de nombreuses raisons de continuer leur partie, que ce soit une surprise, un combat spécial, un challenge, une cinématique...
Au final, nous nous sommes retrouvés avec un jeu proposant environ 20 à 30 heures de gameplay, alors que notre objectif était 10 heures. Le jeu était beaucoup trop long, mais il était trop tard pour faire marche arrière. Nous avons alors insisté, et je crois que c'est pour cette raison que les critiques ont été aussi positives, que les joueurs ont autant apprécié le jeu.
DC : Je crois qu'il est crucial d'accorder à l'équipe la liberté nécessaire pour leur permettre de faire de leur vision une réalité. L'équipe avait vraiment une très bonne idée de ce qu'ils voulaient faire, ils avaient la passion. Du point de vue du producteur, il faut vraiment leur accorder beaucoup de liberté, ne pas avoir peur de les laisser prendre des risques et des décisions qui surprendront les gens. Je crois que c'est pourquoi les joueurs ont vraiment accepté Lords of Shadow comme quelque chose de neuf, une véritable bouffée d'air frais. Ces gars-là n'avaient pas pas peur de prendre les décisions difficiles que nous nous devions de prendre.
Je crois que c'est pour cette raison que Konami nous a donné le feu vert pour créer une suite à Lords of Shadow. Nous avons vraiment de la chance d'avoir une telle opportunité. Grâce au succès du premier jeu, nous allons pouvoir clore l'histoire que nous avons commencé. Et nous savions depuis le début ce que nous voulions en faire, de cette histoire. Et maintenant, il va nous falloir dépasser les attentes des joueurs, on ne va pas se contenter de faire la même chose que pour Lords of Shadow. Mirror of Fate sera un jeu beaucoup plus sombre, beaucoup plus épique.
MS : Je crois que nous avons beaucoup de maturité. Dave a rejoint Konami en 1996, il me semble, juste avant que Symphony of the Night ne sorte. En tant que joueur, il a grandi avec la série, il l'a adoré... il a joué à tous les opus. En tant que professionnel, il travaille sur cette série depuis Symphony of the Night. Nous avons donc une équipe vraiment exceptionnelle qui travaille sur ce jeu. Au final, ce sont vraiment les personnes qui composent l'équipe qui font la différence.
EA : Je suis tout à fait d'accord.
PN : Les jeux de studios japonais sont souvent radicalement différents de ceux de studios occidentaux. Selon-vous, quels sont les différences en matière de développement de jeux entre le Japon et l'Europe ?
EA : Je crois qu'il y a une énorme différence de culture entre l'Europe et le Japon. Le management ne fonctionne pas de la même manière, nous travaillons et progressons de façon différente. Il y a beaucoup d'aspects qui diffèrent. Les japonais visent plutôt la perfection : ils passent beaucoup de temps à réaliser des prototypes, et ils ne passent à l'étape suivante que quand la précédente est complètement terminée.
Quant à nous, nous travaillons davantage en parallèle, ce qui est beaucoup plus complexe, pas aussi simple que le développement à la japonaise. Mais 'simple' n'est pas un gros mot. La simplicité n'est pas une mauvaise chose. Mais ce serait tout simplement impossible pour nous de développer un jeu à leur façon, et à vrai dire, ce n'est pas vraiment une mauvaise chose, car au final, les jeux sont vraiment différents.
Les jeux japonais ont vraiment une identité qui leur est propre : ça se voit qu'un jeu en particulier a été développé au Japon, on le reconnaît facilement. Par contre, je ne peux pas en dire autant des jeux développés en Espagne. Donc on fait les choses à notre façon, et c'est une bonne chose.
DC : Konami Japan nous a donné carte blanche, nous sommes donc libres de faire ce que nous voulons vraiment faire. Je crois que cette liberté de l'équipe de développement est vraiment la clé du succès pour les développeurs occidentaux. Et je pense que les choses vont aller en s'améliorant au fur et à mesure que nous apprenons à travailler ensemble, Japon et Europe, Japon et États-Unis.
PN : Vous considérez-vous comme chanceux de la confiance que Konami vous accorde, de jouir d'une telle liberté, alors que d'ordinaire, les compagnies japonaises ont plutôt tendance à garder leurs IPs pour elles-mêmes ?
DC : Oui. Je me considère comme chanceux d'avoir rencontré Enric. Je me considère comme chanceux que M. Kojima nous ait dit de continuer avec le jeu et de ne pas changer le nom... car les gars de Konami Japan étaient très nerveux, à cause de la direction dans laquelle nous emmenions la série. Cela les a rassurés, et cela a beaucoup joué dans la liberté qu'ils nous ont accordé par la suite.
Ce qui est bien avec les sociétés japonaises, c'est qu'une fois que vous leur avez prouvé que vous étiez digne de respect, ils vous respectent, et vous accordent une grande liberté. S'ils avaient tout dirigé depuis le Japon, je crois que nous aurions eu des problèmes. Différence de culture, différentes façons de travailler... Donc oui, je crois que nous avons beaucoup de chance.
EA : Avant d'accepter la proposition de Konami Japan de travailler sur Castlevania, la seule chose dont nous discutions en interne n'était pas le budget, mais ''Est-ce que Konami va nous laisser travailler seuls, de notre côté ?'' Nous avions le sentiment que c'était ce qu'ils allaient faire. La première chose qu'ils nous ont dite a été: ''On veut voir votre propre perspective sur la série des Castlevania. Bien sûr, n'oubliez pas l'héritage de la série, mais vraiment, ce qu'on veut, c'est que la série prenne un nouveau départ. On veut un reboot de la saga, on veut une nouvelle histoire.'' C'était une des conditions clés pour que nous acceptions cette proposition. Et je crois que c'était la bonne décision.
PN : Vous ont-ils expliqué pourquoi ils sont venus vous demander ça à vous, en particulier ?
DC : C'est une histoire très intéressante. J'ai rencontré Enric en 2006, dans le cadre d'un autre projet dans lequel nous étions vraiment très intéressés, mais qui malheureusement n'a pas vu le jour. Mais sa technologie m'avait beaucoup impressionné, et donc nous avons gardé contact. Puis, lors que l'opportunité de rebooter la série des Castlevania s'est présentée, qu'il était question de faire prendre à la série un nouveau départ, de créer quelque chose de nouveau, j'ai tout de suite pensé à Enric.
Nous avons alors créé une démo, et l'avons montré aux gars de Konami Japan. Là, ils ont vraiment pris peur, car c'était quelque chose de radicalement différent des autres jeux de la série. Ils nous alors dit ''Bon, ben... ça s'appellera peut-être pas Castlevania après tout. N'arrêtez surtout pas de développer, c'est trop tard pour ça, mais vous pouvez en faire une nouvelle IP ?''
Ainsi, le jeu n'aurait pas changé, ça aurait toujours été Lords of Shadow, c'est juste qu'il n'y aurait pas eu 'Castlevania' dans le titre. Puis un jour, M. Kojima nous a rendu visite, a vu le jeu, et nous a alors dit : ''Mais pourquoi vous avez changé le titre ? Pourquoi il ne s'appelle pas Castlevania ? Vite, faites marche-arrière !''. Voilà ce qui s'est passé, en résumé.
PN : Concernant l'héritage de la série, qu'est-ce qui, selon vous, constitue le cœur de l'expérience Castlevania ? A quels éléments n'avez-vous pas voulu toucher ?
EA : Un guerrier solitaire, qui part combattre des créature surnaturelles. C'est ce qui constitue le cœur de la série à nos yeux.
DC : La série a beaucoup évolué au cours des années, avec chaque jeu, avec chaque équipe de développement. Néanmoins, nous ressentions le besoin de garder le fouet. Quand j'ai grandi avec la série dans les années 80, c'était ça Castlevania : un gars solitaire avec son fouet.
EA : Je vais vous dire une chose, ça nous simplifierait beaucoup la vie si le personnage principal avait une épée à la place d'un fouet. Non, mais vous avez cette arme, qui fait 8 mètres de long. Avec elle, vous pouvez fouetter vos ennemis sans prendre de risques ou de dégâts, en gardant vos distances. Alors la première chose sur laquelle nous nous sommes concentrés, ce sont les combats, afin que ceux-ci ne soit pas inexistants.
En effet, avec une telle arme, la plupart des ennemis ne peuvent pas vous atteindre, c'était donc loin d'être évident. Après tout, que peuvent-ils faire contre un fouet qui mesure 8 mètres de long ? On a donc beaucoup réfléchi pour rendre les combats plus intéressants.
PN : Dans le passé, les jeux Castlevania sur consoles portables ont toujours été en 2D, avec des graphismes à base de pixels. Cette fois-ci, Mirror of Fate est en 2,5D, à base de polygones. Le changement était-il un choix délibéré de la part de l'équipe, ou une contrainte ? Avez-vous jamais considéré opter pour des graphismes 2D à la place ?
EA : Pas vraiment. Cela n'aurait pas beaucoup de sens de développer un tel jeu sur une console 3D. Nous voulions vraiment tirer un maximum des capacités de la console, en créant un jeu qui garde la même saveur que Lords of Shadow, mais avec une perspective 2,5D. Nous voulions montrer les combats en 3D stéréoscopique, mais sans gêner les joueurs avec des changements de perspective trop fréquents.
Grâce à la 2,5D, on peut garder les combats dans un seul et même plan. Le résultat final est très agréable, et ne donne pas mal à la tête. Mais en même temps, les différents 'plans' offerts par la 3D auto-stéréoscopique nous permette de créer un monde qui est comme une miniature, c'est très charmant.
PN : Que signifie le titre du jeu, Mirror of Fate ?
DC : Chaque personnage va devoir faire face à sa propre destinée. Ils seront tous amenés à faire des choix qui auront une incidence sur leur destin. C'est l'élément central de l'histoire de Mirror of Fate.
PN : Lors de notre essai sur le stand Konami, nous avons eu la sensation que le jeu était très focalisé sur les combats, plutôt longs et intenses, contrairement aux précédents opus portables, davantage axés exploration. S'agit-il d'une décision réfléchie ?
DC : C'est justement l'une des ''fameuses'' spécificités de Lords of Shadow, et nous voulions vraiment créer un jeu qui plaisent aux fans de ce dernier. Et ce qu'ils ont aimé, ce sont justement les combats, et l'aspect stratégique de ces derniers. Nous pensions que c'est quelque chose d'important, et qu'il nous fallait le garder dans cette suite.
Nous voulions que le jeu soit très facile au début. Prenez un Metroidvania, la difficulté est très importante au début du jeu, mais au fur et à mesure que vous progressez, elle baisse, et vers la fin, le jeu est plutôt facile. Nous voulions éviter ça. Au contraire, nous voulions que le jeu soit très facile au début, mais devienne plus difficile de façon progressive, au fur et à mesure que vous progressez dans l'aventure, et que les ennemis deviennent de plus en plus intelligents et rusés. Mais on donne tout même aux joueurs de nouveaux outils, de nouvelles armes, de nouvelles magies.
Ce n'est pas un jeu où l'on se contente de marteler les boutons comme un idiot, ce qui est une erreur que beaucoup de gens ont fait avec Lords of Shadow. Il vous faut vraiment réfléchir à comment vous allez procéder pour vaincre chaque ennemi. Prenez la démo de Mirror of Fate : à un moment, vous récupérez une arme secondaire, un boomerang. C'est un arme très puissante, capable de tuer certains ennemis en un coup. Mais bien souvent, les joueurs ne l'utilisent pas, et préfèrent spammer le fouet à la place.
En fait, il est plus intelligent d'utiliser le boomerang, une arme secondaire qui cause des dégâts de façon continue, puis de passer au fouet, et une fois que l'ennemi est en surbrillance, l'achever avec l'attaque spéciale. De cette façon, les combats sont beaucoup plus courts, alors que si vous vous contentez de spammer le fouet, cela risque de vous prendre un bon moment. Il vous faut vraiment prendre en compte chacun des outils qui sont mis à votre disposition. C'est ça le secret de Castlevania : Lords of Shadow – Mirror of Fate !
Merci à tous deux pour le temps qu'ils ont pu nous consacrer pour parler de Castlevania : Lords of Shadow - Mirror of Fate, un jeu dont la sortie est prévue sur 3DS au cours du dernier trimestre 2012.
Propos recueillis et traduits par Laurent.
Castlevania: Lords Of Shadow - Mirror Of Fate Video
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