L'univers des jeux vidéo, futur eldorado pour le cinéma et les séries ?
On avoue qu’on ne donnait pas cher du film au départ quand nous avons entendu il y a quelques années l’annonce de son développement. Jusqu’à présent, les films autour des jeux vidéo ont loin d’avoir été de grandes réussites et même Pixels avec Pac-Man ou Le monde de Ralph ont été des propositions qui ont tourné courts. Détective Pikachu s’est montré visuellement très agréable mais partageait le public concernant les différences avec le jeu d’origine, Sonic avec ces deux films nous a proposé un titre familial où les humains étaient de grands imbéciles tandis que la série Halo autour de la célèbre franchise de Microsoft s’est montrée très bancale quant à sa représentation de l’univers du Master Chief. Bref, il en faut pour tous les goûts. Mais en cette année 2023, les studios semblent accorder un peu plus de soin lors des portages de jeux vidéo et les projets commencent à abonder. Après une première saison de Last of Us de grande qualité et fidèle au jeu vidéo, même si certains regrettent de ne pas voir plus les infectés, et en attendant la proposition autour de Mario où l’on croise les doigts pour avoir un grand spectacle qualitatif, c’est au tour de Tetris de se montrer, un projet dont les premiers échos remontent tout de même à 2016.
Une fenêtre sur une histoire vraie avec une touche rock'n'roll
La bonne idée est d’avoir choisi la période historique où le monde entier va découvrir ce jeu terriblement addictif, par le biais des déconfitures d’Henk Rogers, patron de Bullet-Proof Software, un entrepreneur développeur qui a bien du mal à surnager avec son jeu de Go. Il découvre par hasard lors du CES de 1988 le jeu Tetris sur un PC. C’est le coup de foudre absolu et Henk Rogers reconnaît le jeu parfait qui peut lui permettre de faire fortune. Comme la licence sur PC est déjà acquise par une société, il espère pouvoir acquérir les droits de distribution sur les consoles de jeux vidéo et sur les bornes d’Arcade.
Alors qu’il pense avoir réussi le plus dur en arrivant à convaincre Nintendo de signer un partenariat avec sa société pour porter Tetris sur ses consoles, Henk prend claque sur claque lorsqu’il découvre que son contrat original n'est pas valable, perdant coup sur coup les droits sur les versions Arcade puis sur les versions consoles. Dos au mur économiquement, il joue son va tout en décidant de se rendre directement à Moscou pour négocier les droits auprès de la société soviétique ELORG, qui détient les droits d’auteur de Tetris, et son développeur principal Alexey Pajitnov. Mais en 1988, l’Union Soviétique est en plein effondrement et Henk se rend vite compte qu’entre des règles qu’il ne comprend pas, les coups fourrés de ses adversaires, les magouilles de certains membres du KGB, son parcours pour tenter d’arriver à ses fins va être hautement rocambolesque et risqué. Heureusement pour lui, il a une carte maîtresse dans son jeu de poker menteur, Nintendo et son Game Boy.
Un sens du rythme réussi et une impressionnante reconstitutions de certaines scènes historiques
Autour de son acteur Taron Egerton que l’on avait apprécié dans les deux premiers films Kingsman et dans sa prestation en Elton John dans le film Rocketman, le film compose un histoire abracadabrante et pourtant en grand partie vraie, avec en toile de fond un bon aperçu de la fin des années 80, avec l’effondrement du communisme. On reste saisi par la rencontre entre Henk Rogers et le patron de Nintendo Hiroshi Yamauchi ( avec un Togo Ikawa extrêmement bien grimé), un Mikhail Gorbatchev encore plus réussi que dans l’excellente série Chernobyl, et on boit du petit lait quand Henk fait un tour dans les locaux de Nintendo, en particulier Nintendo of America, avec signature d’un NDA pour découvrir la nouvelle console que Nintendo s’apprête à lancer : le Game Boy.
Tout n’est pas parfait dans ce film, entre certains excès du haut responsable du KGB Trifonov, le jeu un peu trop transparent d’Anthony Boyle en Kevin Maxwell, et un happy end pour la vie personnelle de Henk Rogers. Mais reconnaissons que les tribulations de Henk avec Pajitnov, embarquant au passage nos deux représentants de Nintendo of America, Minoru Arakawa (gendre de Hiroshi Yamauchi et fondateur de la filiale Nintendo en Amérique) et Howard Lincoln (vice-président exécutif de Nintendo of America) sur le sol soviétique, nous font passer un très bon moment, en particulier quand ils évoquent leur inimitié vis-à-vis d’Atari. Pour rappel, Tetris sur Game Boy s'est écoulé à plus de 30 millions d'exemplaires.
L'histoire reste quelque peu travestie par certains raccourcis
Il y a également quelques libertés et raccourcis avec l’histoire, notamment concernant les droits de Tetris. Si le film nous parle des droits de distribution essentiellement qui reviendront à Nintendo pour les consoles de jeu portables, leur permettant de sortir ensuite de nouvelles versions de Tetris pour l’ensemble de leurs consoles, il se montre un peu rapide concernant les droits d’auteur. La société soviétique ELORG est dissoute après l’effondrement de l’Union soviétique et les droits sont transférés à une entreprise appelée Andromeda Software, fondé par Robert Stein, un producteur de cinéma américain qui cherchait à se diversifier dans l’industrie du jeu vidéo, en les vendant ensuite à la société britannique Mirrorsoft appartenant à la Holding de Robert Maxwell . Mais Maxwell meurt en 1991 et le groupe fait faillite lorsqu’on découvre de multiples scandales et détournement de fonds. Andromeda Software récupère les droits avant de fusionner en 1996 avec Bullet-Proof Sotware de Henk Rogers, afin de constituer une nouvelle entreprise, The Tetris Company, détenue conjointement par Henk Rogers et Alexey Pajitnov (le créateur original de Tetris). C’est avec cette société que Nintendo a collaboré pour développer les plus récentes versions de Tetris pour leurs consoles, y compris Tetris 99, le jeu de battle royale basé sur Tetris publié en 2019 pour la Nintendo Switch.
Si vous connaissez ce background historique, vous tiquerez un peu sur la manière dont Robert Stein est présenté au sein du film, ainsi que sur le côté mafieux clairement affiché de Robert Maxwell, omniprésent au sein de Mirrorsoft alors qu’il n’est absolument pas fait mention de son fondateur Jim Mackonochie, un homme clé dans le développement des simulateurs de vol sur PC. Il faut donc prendre ce film pour ce qu’il est : une interprétation un peu romancée de l’arrivée de Tetris en Occident, un peu jeu vidéo avec l’incrustation de quelques motifs pixelisés pour appuyer l’action ou découper l’histoire en plusieurs chapitres tel un jeu d’aventure. C’est divertissant et donc une bonne surprise, seules les fins connaisseurs de l’histoire du jeu vidéo grimaceront sur divers détails du film.
Crédit des photos : Apple TV+
Mise à jour
Kotaku a partagé une intéressante vidéo d'une interview des véritables personnages derrière Tetris, remis en lumière avec la sortie du film, disponible exclusivement sur Apple TV+.
Cet article vous a intéressé ? Vous souhaitez réagir, engager une discussion ? Ecrivez simplement un commentaire.