Nintendo et l'émulation, cela n'a jamais été une grande histoire d'amour. Mais si Nintendo s'est contenté de démolir des jeux inédits autour de certaines de ses IP car elle avait un intérêt particulier à ne pas permettre leur existence, elle laissait faire plus facilement l'émulation de ses anciennes consoles, à condition de ne pas fournir les roms de ses jeux dont elle protège jalousement les droits.
L'émulation, rappelons le, est d'abord de permettre la préservation de jeux dont les compagnies ou les ayants-droits ont disparu et de permettre de rejouer à des jeux dont on possède les originaux sur des applications qui tentent de reproduire le plus fidèlement possible des périphériques qui ne sont plus commercialisés.
On comprend tout de suite que les émulateurs de consoles toujours commercialisés sont beaucoup plus surveillés. En général, il faut pas mal de temps de développement avant que l'émulateur puisse proposer une compatibilité et une fonctionnalité décente, et un gros PC est nécessaire pour faire tourner correctement les jeux des consoles les plus récentes. Dans le cas de la Switch, le problème est plus particulier. La console a désormais 7 années d'existence et les émulateurs de cette console ont donc largement eu le temps de se perfectionner pour désormais proposer une émulation de bonne qualité sur certains titres. Parmi ces émulateurs, nous avons Yuzu. Et avec Yuzu, il y a clairement de l'eau dans le gaz entre Nintendo et les développeurs. La raison est simple : Nintendo accuse Yuzu d'être à l'origine des copies pirates de The Legend of Zelda : Tears of the Kingdom jouées en avance.
Une action en justice déposée au tribunal de Rhode Island ce lundi 26 février 2024.
On est au cœur du problème de l'émulation underground. Yuzu fait très bien tourner de nombreux jeux actuellement commercialisés sur Nintendo Switch et c'est donc autant de manque à gagner pour Nintendo, car avec les copies de jeux circulant sur le Net, des joueurs peuvent donc s'amuser sur leur PC à une partie non négligeable de leur logithèque Switch, avec un niveau d'émulation plus que satisfaisant, en poussant même les réglages graphiques à des niveaux supérieurs à ce que la console de Nintendo permet de faire de base.
Mais là où cela se corse, c'est quand un émulateur est capable de faire tourner des copies pirates de jeux vidéo pas encore commercialisés, avec un très bon niveau de performance. C'est ce qui est arrivé avec Tears of Kingdom et c'est là-dessus que Nintendo attaque les développeurs. En effet, pour avoir aussi tôt ce haut degré de compatibilité avec le jeu avant sa sortie, c'est que les développeurs ont mis la main très tôt sur les copies du jeu, Nintendo se demandant s'ils ne sont pas tout simplement à l'origine de ce piratage. Mais même si ce n'était pas le cas, le fait de pouvoir rendre jouable un jeu avant sa commercialisation est clairement un encouragement au vol du travail effectué par les développeurs de Nintendo, car on permet à des joueurs de jouer à un jeu sans avoir besoin de l'acheter et ceci, avant même sa sortie officielle.
Nintendo veut mettre les bouchées doubles car les développeurs de Yuzu ont de grandes ambitions, comme ils l'indiquaient dans leur dernier poste de février :
Nous souhaitons prendre en charge QLaunch, c'est-à-dire pouvoir démarrer le lanceur de jeux natif, lancer des jeux à partir de là, les fermer, les suspendre, lancer un autre jeu, etc.
C'est le journaliste de Game File, Stephen Totila, qui a indiqué le premier que Nintendo poursuit les fabricants de Yuzu, un émulateur de Nintendo Switch open-source, selon une action en justice déposée au tribunal de Rhode Island lundi. La réclamation est accompagné d'un document de 41 pages, que l'on peut consulter en anglais
ici, déposé contre Tropic Haze, la société qui fabrique Yuzu.
Nintendo fait également référence à une personne connue sous le nom de Bunnei, qui dirige le développement de Yuzu. Cette personne est bien connue de la scène émulation des consoles Nintendo depuis des années. Il s'est fait d'abord connaître comme "contributeur minoritaire" au sein de l'émulateur Nintendo GameCube open source "Dolwin" au début des années 2000, avant d'écrire son propre émulateur Nintendo GameCube appelé "Gekko" en 2005. Puis Bunnei a ensuite été le principal développeur de "Citra", un émulateur Nintendo 3DS qui est encore largement disponible et toujours soutenu. En janvier 2018, moins d'un an après le lancement de la Nintendo Switch, Bunnei a annoncé la création de l'émulateur Yuzu qui dès avril 2018, permettait de jouer à une poignée de jeux simples disponibles sur Switch. Rapidement, la liste de compatibilité de jeux est passé à plus de 2 500 jeux différents, dont plus de 1 800 sont " jouables du début à la fin ".
Yuzu est un émulateur gratuit, fondamentalement, c'est un logiciel qui permet aux gens de jouer à des jeux Nintendo Switch sur Windows PC, Linux et les appareils Android. Performant, Valve a dû intervenir pour empêcher que l'émulateur soit disponible sur son Steam Deck car des tests montraient qu'ils fonctionnaient très bien. On imagine les gros problèmes entre Valve et Nintendo si tous les possesseurs de Steam Deck avaient pu jouer à n'importe quel jeu 3DS et Switch sur leur PC portable.
Selon Nintendo, utiliser Yuzu est illégal, car l'application exécute des codes qui "déjouent" les mesures de sécurité de Nintendo, y compris le décryptage à l'aide d'une "copie illégalement obtenue des clés prod.
Le site web de Yuzu fournit des instructions détaillées sur la façon d'acquérir illégalement les clés cryptographiques requises et des copies non autorisées et cryptées de jeux Nintendo Switch pour que Yuzu puisse fonctionner. Mais tout cela ne sert qu'à faire fonctionner Yuzu comme prévu ; sans Yuzu, un utilisateur pourrait avoir des clés, et il pourrait avoir des ROM de jeu cryptées, mais il ne pourrait pas jouer à des jeux. Le site enseigne aux utilisateurs comment contourner leurs consoles Nintendo Switch et faire des copies illégales de jeux cryptés afin que Yuzu puisse contourner et jouer à ces jeux.
"En d'autres termes, sans le décryptage par Yuzu du cryptage de Nintendo, des copies non autorisées de jeux ne pourraient pas être jouées sur des PC ou des appareils Android", écrit Nintendo dans le procès.
Et c'est bien la fuite du jeu The Legend of Zelda : Tears of the Kingdom. Tears of the Kingdom deux semaines avant sa sortie officielle le 12 mai 2023 qui a cristallisé les critiques de Nintendo. Une rapide étude a prouvé que grâce à la compatibilité de Yuzu avec cette version piratée, plus d'un million de copies du jeu ont été téléchargées sur le net. Les joueurs ont utilisé Yuzu pour jouer au jeu ; Nintendo a déclaré que plus de 20 % des liens de téléchargement dirigeaient les gens vers Yuzu.
Même si Yuzu se défend de ne pas distribuer de copies pirates de jeux, Nintendo a répété à plusieurs reprises que la plupart des sites ROM orientent les utilisateurs vers Yuzu pour jouer aux jeux qu'ils ont téléchargés. Plusieurs sites sont ainsi listés dans le document déposé par Nintendo, et on peut rapidement constater que ces sites ne sont pour le moment plus accessibles ce matin. Cette chasse aux distributions illégales de ses jeux coûtent beaucoup d'argent à Nintendo et l'entreprise ne veut pas voir d'autres entreprises prospérer en pillant ses efforts de développement.
Ainsi Nintendo pointe le fait que Yuzu rapporte 30 000 dollars par mois sur son Patreon à l'équipe de développement, grâce à plus de 7 000 mécènes. Nintendo a déclaré que l'entreprise a gagné au moins 50 000 $ en téléchargements payants de Yuzu. Nintendo a déclaré que le Patreon de Yuzu a doublé le nombre de ses membres payants entre le 1er et le 12 mai, date de la sortie de Tears of the Kingdom.
Pour Nintendo, la coupe est donc pleine. Yuzu est un émulateur qui encourage le piratage de ses jeux et devient désormais une véritable menace en proposant l'émulation de jeux dérobés avant leur sortie officielle.
Pour jouer à un jeu vidéo Nintendo Switch dans Yuzu, Yuzu décrypte illégalement le cryptage du jeu de Nintendo. Normalement, les utilisateurs peuvent légalement acheter des cartouches physiques autorisées contenant des jeux qui sont insérées dans la console Nintendo Switch, ou télécharger des jeux numériques à partir de la boutique en ligne de Nintendo (le Nintendo eShop) tout en utilisant la Nintendo Switch.
Les utilisateurs qui possèdent une copie légale d'un jeu Nintendo Switch n'ont que l'autorisation de Nintendo pour jouer à cette seule copie sur une console Nintendo Switch non modifiée. Toute ROM de jeu vidéo Nintendo non autorisée- c'est-à-dire , un fichier de jeu en soi, non sécurisé sur une cartouche ou une console - est une copie illégale. Soit un utilisateur l'a illégalement déversée à partir d'une cartouche physique ou d'un jeu eShop numérique sur une Nintendo Switch piratée, soit l'utilisateur a obtenu une copie piratée à partir d'une bibliothèque de ROM pirates en ligne.
Nintendo demande au tribunal de fermer l'émulateur et de condamner la société Tropic haze à lui verser des dommages et intérêts. On se doute que de nouvelles informations vont apparaître durant la journée ou dans les prochains jours, c'est donc une grosse affaire de justice qui commence !
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Il est évident que cela représente un manque à gagner pour Nintendo, et je considère que tout travail mérite salaire, donc les programmeurs de Nintendo méritent que l'on paye pour leurs réalisations