EDGE : Comment a évolué votre rôle chez Nintendo ces dernières années ?
Miyamoto : Je ne pense pas que ma façon de faire des jeux vidéo ait tant changé. Au fil des années, j'ai eu tendance à travailler sur un projet plus profondément quand la phase de développement touchait à sa fin. La seule différence c'est que, quand nous travaillons sur des choses vraiment nouvelles comme Nintendogs ou Wii Music, j'ai tendance à être très impliqué beaucoup plus tôt. Pour les soit-disant "jeux sérieux" mon engagement tend à être plus beaucoup important vers la dernière étape.
Cela vous surprendra peut-être, mais si je devais voir un changement significatif de mon rôle au cours des années, je dirais qu'il s'agit probablement de mon implication dans l hardware. Il y a longtemps, mon rôle dans le design du hardware était vraiment limité. C'était principalement le design de la manette, ou de l'interface de contrôle, ou encore quelques unes de ces fonctions spéciales que vous voulez que le hardware contiennent pour le côté software. Mais je pense, probablement aux débuts de la DS, que ma participation au hardware a vraiment changé. Avec ce projet, j'ai pu prévoir de façon significative tout le développement du hardware tout en gardant un oeil sur le côté software des choses.
EDGE : Vous, parmi beaucoup de créateurs-clés de chez Nintendo, avez été embauchés par M. Yamauchi sur la force du potentiel plutôt que sur l'expérience : pensez-vous toujours que Nintendo cherche quelque chose que d'autres développeurs ne chercheraient pas ?
Miyamoto : Je pense que c'est toujours très difficile de juger précisément du potentiel des individus à un stade aussi peu avancé. Au lieu de ça, je crois que ce que nous pouvons faire est créer le bon genre d'environnement dans lequel tout le monde peut développer ses caractéristiques pour le bien de Nintendo. Le fait est que, quand il y a quelques personnes qui sortent du lot au moment du recrutement, nous découvrons le plus souvent qu'ils sont des loups solitaires. La vérité, c'est que de nos jours, pour travailler dans le développement vidéoludique vous devez vraiment pouvoir travailler en équipe. C'est la clé, vraiment. Vous devez avoir l'esprit d'équipe. En fait, nous voulons créer une ambiance pour que les individus "grandissent" ensemble dans notre organisation. Je pense vraiment que c'est l'approche la plus pratique pour nos employés.
Il y a des années, quand des gens comme moi étaient embauchés pour la première fois, je savais que M. Yamauchi essayait toujours de voir comment les choses allaient se développer. Il était très calme et il n'était pas objectif, mais il croyait en la chance. Il pensait que chaque personne avait de la chance à un moment. Il dirait : "Nous n'avons pas de chance pour l'instant, c'est eux qui l'ont. Ce gars, là ? Il n'avait juste pas de chance." C'était vraiment sa façon de voir les gens et nous essayons de garder cette approche instinctive des gens et des situations mais à notre façon.
Surtout récemment, Nintendo est devenu l'une de ces sociétés dans lesquelles les jeunes diplômés de grandes universités veulent travailler. A cause de ça, la compétition pour les places est devenue très féroce. Cela signifie que beaucoup de nouvelles recrues chez Nintendo ont atteint le plus haut niveau dans de grandes écoles ou de grandes universités. Je dis souvent à Iwata : "Si je posais ma candidature pour un travail ici aujourd'hui, avec mon niveau d'étude actuel, je n'aurais probablement pas été engagé chez Nintendo !" C'est vraiment ce de quoi l'on parle.
C'est pour cela que je fais passer certains entretiens avec les universitaires moi-même. Parfois je fais même quelque chose de très inhabituel. Nous avons plusieurs étapes lors de nos tests de recrutement et parfois, même si quelqu'un rate l'une des étapes, je le choisis et j'essaie de trouver quelque chose de vraiment différent chez lui. Quelque chose que vous ne pouvez pas juger juste à travers un diplôme. C'est l'un des petits boulots spéciaux que je me donne.
EDGE : Sur le sujet des emplois, il y a longtemps, vous avez dit que la chose la plus difficile à propos du travail était d'être à l'heure tous les matins : à quoi ressemble une journée type au bureau pour vous aujourd'hui ?
Miyamoto : C'est intéressant. Je peux à peu près diviser les choses en trois parties égales. A peu près un tiers de mon année de travail en moyenne est passée en réunions [rires]. Réunions du collège des directeurs ou réunions pour les développements. Ensuite, je passe environ un autre tiers de l'année à travailler avec les personnes en dehors de nos bureaux à Kyoto. Nous avons des équipes qui travaillent à Tokyo par exemple et il y a des personnes en dehors de la société qui sont toujours impliquées dans le développement.
A côté de ça, le dernier tiers est passé plus proche du développement même des jeux : je veux parler des jeux internes et du développement software. C'est travailler sur des choses comme les tests de prototypes et regarder sur quoi auraient éventuellement travaillé les équipes d'essais : je suis particulièrement intéressé de voir comment les gens peuvent réagir au choses que nous avons faites et discuter pour voir comment les améliorer. Et si rien ne semble fonctionner, s'il n'y a rien à faire pour faire de vrais progrès dans un projet, je dois entrer en jeu pour écrire le journal de développement et m'impliquer moi-même dans le planning. Mais je dois faire des points sur d'autres choses. Je suis souvent au bureau à partir de 9h du matin jusqu'à 22h voire minuit, mais je m'assure que le mardi soir est libre pour aller nager. Vous pourriez dire que je suis occupé, mais je ne le suis pas autant qu'un journaliste de magazine [rires].
EDGE : Quelle sorte d'innovation pensez-vous que Nintendo apporte au jeu aujourd'hui ?
Miyamoto : Notre principe de base est très clair : nous essayons toujours d'être différents de tous les autres. Beaucoup d'autres sociétés essaieront peut-être de faire les mêmes choses que quelqu'un d'autre qui a déjà eu du succès dans un certain domaine : ils pensent en termes de compétition et ils pensent à comment être plus fort que leur prédécesseur dans un domaine précis. Mais plutôt que de faire ça, Nintendo essaie toujours d'être unique. Nous essayons toujours d'être différents. Même quand nous travaillons sur les soit-disant jeux "sérieux", quand nous travaillons d'arrache-pied sur un Zelda ou sur un Super Mario Bros., parmi nous, dans la même équipe de développement, la façon dont nous parlons du jeu est faite de questions : "Qu'y a-t-il de nouveau ? Qu'y a-t-il de frais dans ce jeu ?"
Ce genre de concentration sur la façon d'être original, d'être unique à chaque fois, d'essayer de créer quelque chose de différent à chaque fois, tout ça sera entretenu, soutenu et mené toujours plus loin pour que même quand nous travaillons sur plusieurs autres titres en même temps, notre esprit d'unicité et de différence soit toujours là quelque part en arrière-plan.
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