Gros moment de tristesse quant on lit les informations délivrées par le journal Libération, très documentées et à charge concernant la trop grande latitude laissée aux grands créatifs d'Ubisoft par son PDG Yves Guillemot, clairement tancé devant son incapacité à agir et à mettre fin aux différents malaises remontant de ses employés.
Michel Ancel semble avoir sombré en voulant développer BGE2
Après les problèmes de harcèlements révélés durant l'été dernier, qui a contribué à débarquer le responsable créatif du dernier Assassin's Creed et quelques autres responsables qui avaient tout fait pour étouffer les plaintes internes, les langues se délient enfin, ou du moins se font en entendre à l'extérieur d'une manière enfin audible, pour dénoncer tous les problèmes qui ont lessivé une partie des employés, des critiques pourtant remontées jusqu'aux hautes sphères du staff de l'entreprise, mais absolument pas suivi d'effets.On frémit en se disant que la chaine des responsables a à ce point minimisé les problèmes.
Aujourd'hui, l'image d'Ubisoft est clairement écorné et va mettre du temps à s'en remettre (et on peu s'attendre à d'autres révélations malheureusement), mais peut-être que ce grand nettoyage est salutaire pour remettre correctement sur les flots ce grand éditeur qui semble clairement s'être aveuglé depuis de nombreuses années. Il y aura surement un avant et un après, mais il est grand temps de remettre en cause "les baronnies" qui s'étaient installées autour de certaines personnalités influentes de l'éditeur.
Michel Ancel dans les locaux d'Ubisoft, lors de leur inauguration le 17 septembre 2019. Photo Céline Escolano. SAIF, image présentée par
Libération. Une image qui permet de revoir le créatif aujourd'hui âgé de 48 ans, avec le sourire et l'espoir de concrétiser enfin ses projets à l'époque.
Michel Ancel, ce talentueux créateur de Rayman, co-créateur des Lapins Crétins, réalisateur de Beyond Good and Evil, ayant indiqué son départ d'Ubisoft et du monde du jeu vidéo il y a quelques temps, voit son aura clairement terni par une enquête semblant dénoncer un management de plus en plus "toxique" de sa part durant le développement fleuve du projet démesuré très attendu : Beyond Good and Evil 2.
Les accusations sont sévères à son encontre : dans sa bulle créative pour développer le titre qu'il rêvait, il a eu carte blanche et totale liberté pour réaliser son projet de la part d'Yves Guillemot, au point de devenir un véritable "dictateur psychologique" pour le personnel travaillant sur ce projet. Changement de cap abrupt dans les directions du projet, mettant à bas des mois de travail, difficulté de communication avec son équipe (au point que l'on aurait créé des personnes pare-feu pour faire tampon entre sa personne et le reste des équipes, on lui reproche notamment des remarques très cassantes), BGE2 semble dévoiler un soap opéra bien calamiteux dont ont fait les frais de nombreux personnels d'Ubisoft Montpellier. Dépressions, départ de membres vers d'autres projets, le côté démiurge de Michel Ancel est clairement pointé du doigt. Le créatif a vu trop grand, s'est perdu dans ses recherches, et les équipes de développement ont clairement souffert de ses errements et de ses sautes d'humeur.
Il est capable de vous expliquer que vous êtes un génie, que votre idée est merveilleuse, puis de vous démonter dans une réunion, en vous disant que vous n'êtes que de la merde, que votre travail ne vaut rien, et de ne pas vous parler pendant un mois (propos recueilli par Libération lors de leurs investigations, que l'on peut consulter notamment au sein de Kotaku).
Michel Ancel a confirmé au journal Libération qu'il était sous le coup d'une enquête interne, Ubisoft ayant clairement indiqué dans son opération main propre qu'aucune personnalité n'allait désormais échapper aux investigations. Le site Gamekult a pu révéler en avant-premières les premiers éléments du journal Libération, la publication de ce samedi 26 septembre dans les kiosques présentant en détails toutes les informations récoltées à ce jour. C'est un nouveau coup de tonnerre qui éclabousse Ubisoft, en touchant désormais l'un de ses plus célèbres collaborateurs.
On était étonné par le départ soudain de Michel Ancel, on comprend mieux désormais que l'intéressé ait eu besoin de s'extirper de ce milieu pour prendre du recul et mesurer combien il s'était déconnecté de la vie de ses équipes. Une prise de recul qui va prendre du temps car Michel Ancel ne semble pas encore avoir pris la mesure des graves critiques contre lui ou du moins en réfute l'importance.
Michel Ancel réfute les accusations et se défend
Michel Ancel d'ailleurs a décidé de contre-attaquer en accusant le journal Libération d'avoir colporter des Fake News, et en ayant donné de l'écho aux propos d'une quinzaine de personnes qui ne représentent pas la totalité des mentalités des équipes. Il admet cependant que son départ est probablement une bonne chose pour permettre à BGE 2 de sortir enfin, il a trop couvé son "enfant" et qu'il est grand temps de le laisser vivre sa vie désormais. Après 7 ans 1/2 passé dessus, il reconnaît que c'est bien trop et convient que cela a pu avoir des répercussions sur la motivation interne de certains membres de l'équipe. En revanche, il réfute le côté despote qui lui est attribué au sein des témoignages.
On comprend bien que cette nouvelle affaire va être abondamment commentée et qu'il faut rester prudent, en respect avec la présomption d'innocence. L'enquête se poursuit et chacun va vouloir se défendre et apporter ses preuves. Mais dans le contexte actuel que traverse Ubisoft, c'est probablement la goutte d'eau de trop.
Yves Guillemot à nouveau en ligne de mire
Mais si Michel Ancel est dans la tourmente, tous les regards se tournent à nouveau vers le PDG Yves Guillemot, clairement affaibli par cette nouvelle affaire. L'affaire du développement chaotique de BGE2 prouve une nouvelle fois que les plaintes des développeurs étaient connues par la direction, qu'on a minimisé les problèmes pour ne pas faire ombrage aux stars de son écurie, préférant exfiltrer vers d'autres projets des personnes à bout de nerf, épuisées par les changements incessants imposés ici par Michel Ancel.
Si la volonté de faire de BGE2 un titre d'exception était louable, on ne peut qu'être surpris par le manque de planification de ce projet (et on pourra évoquer également le développement de The Wild, autre projet d'envergure de Michel Ancel, dont le développement a connu également de nombreux reports) et surtout par la confiance qui vire à l'aveuglement de la part d'Yves Guillemot. Combien a pu coûté le développement de ce jeu depuis le début ? Quelle est l'ampleur de la casse psychologique au sein des équipes ayant œuvré dessus ? Pourquoi personne parmi la direction n'a mis le holà quand les premiers cas de dépression dans les équipes ont été révélés. Pourquoi Yves Guillemot n'a pas eu une explication franche avec Michel Ancel pour le recadrer sur des aspects qui font désormais très mal ?
Par cette nouvelle affaire, c'est bien le management complet au sein d'Ubisoft qui est à nouveau dénoncé. Une direction avec de nombreux responsables qui n'ont pas agi face à la remontée de problèmes internes, qui ont laissé pourrir de nombreuses situations. Des personnalités que l'on a voulu absolument dorloté pour ne pas les voir partir ailleurs, mais finalement en leur laissant trop de pouvoir, au point d'en devenir omnipotent au niveau de leurs équipes et intouchables.
Ces nouvelles révélations fragilisent la ligne de défense d'Yves Guillemot, qui indiquait ne pas avoir été mis au courant tout de suite des problèmes qui touchaient Ubisoft Montréal notamment et le développement d'Assassin's Creed. Avec cette nouvelle histoire en France, cette absence de connaissance des problèmes ne tient plus. Bref, l'année 2020 va rester une année bien sombre pour Ubisoft et on s'attend à nouveaux changements d'importance dans la conduite future de l'entreprise. Yves Guillemot sera-t-il toujours à la barre, lui qui avait réussi à surmonter la tentative de prise de contrôle de Vincent Bolloré ? On frémit en se demandant quel sera le prochain déballage qui touchera Ubisoft. Si le studio souffre actuellement, ce n'est pas le premier studio d'importance a connaître de tels problèmes. On se souviendra de Naugthy Dog et Rockstar qui ont connu leurs déboires à une certaine époque. Recoller tous les morceaux prendra du temps.
Sources : Libération, Gamekult et
Kotaku
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En ce qui concerne les personnes ayant souffert de cette période, on croise les doigts pour qu'elles soient enfin correctement entendues et que l'on se saisisse de toutes ces opportunités pour corriger tout ce qui peut l'être.
Ubisoft est devenu tellement gros avec son nombre de collaborateurs à travers le monde que son modèle de management, finalement assez décentralisé et laissant une grande latitude d'autonomie à chaque studio, n'est plus adapté à la situation actuelle.
Je peux juste dire que les comportements toxiques de directeurs d'équipes sont légions, et que les burn-outs, les dépressions sont de vrais phénomènes de notre temps. C'est bien que l'on en parle enfin, même si à mon sens, cela devrait être un vrai débat de société.
Le développement est un métier "passion" et il est facile pour un encadrement d'en profiter. Mais le problème est aussi ailleurs. Je me refuse de croire qu'une personne est foncièrement mauvaise lorsqu'elle affiche de telles comportements. Il faut s'attarder sur le "pourquoi ?"
Le capitalisme aujourd'hui, c'est une constante croissance des entreprises. Gagner de l'argent ne suffit plus, il faut toujours faire mieux que l'année précédente. C'est comme cela que l'on en arrive à des crises alors même que les résultats de ces sociétés sont positifs. La pression est tellement énorme que l'on assiste à des pétages de plombs qui se répercutent sur les équipes.
Lorsque l'on est armé, il est possible de se défendre (lorsque cela arrive, je "gueule" plus fort) mais nous n'avons pas tous le même caractère.
Pour moi il est nécessaire de mieux encadrer les personnes à responsabilités, ce qui est difficile pour les directions d'entreprises car pour elles, ces femmes et hommes sont les raisons des bons résultats de l'entreprise. Idéalement, il faut les faire tourner au détour de réorganisations annuelles...
En bout de chaine, on a ce que l'on appelle les "interchangeables" très peu considérés et sur siège éjectable. En développement, on peut travailler dans 4, 5 entreprises différentes en 10 ans, seule façon d'évoluer (salaires, postes, etc) dans ce métier.
Le mieux aujourd'hui c'est vraiment de prendre du recul par rapport à ce genre d'harcèlement en ayant une attitude détachée. Il ne faut pas hésiter à solliciter les élus d'entreprise, etc. Croyez moi, les salariés n'osent pas. Les risques psycho-sociaux en entreprise doivent être traités avec grande importance aujourd'hui...