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Nintendo n’est pas une entreprise technologique mais de divertissement
Peu avant l’annonce de la nomination du nouveau président, Bernd Fakesch, directeur de Nintendo pour l’Europe centrale, a donné une intéressante interview au journal Le Temps le 20 août dernier.
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En poste depuis 2004, Bernd Fakesch est directeur général de Nintendo pour la Suisse, l’Allemagne et l’Autriche. Le groupe nippon avait passé quatre années dans les chiffres rouges avant de finir l’année 2014-2015 sur un bénéfice de 208 millions de dollars. Après le choc du décès de son président, Satoru Iwata, le 11 juillet dernier, Nintendo se lançait dans une réorganisation d'urgence. L’entretien au journal Le Temps a été donné en marge du salon Gamescom à Cologne.
Veuillez noter que le nouveau président M. Tatsumi Kimishima n’était pas encore nommé lors de la réalisation de cette interview. L’intérêt de cette interview est que le journaliste, Adrià Budry Carbó, met clairement les pieds dans le plat en posant certaines questions sensibles directement à un haut membre de Nintendo Europe. Nous vous en présentons l'intégralité.
Le Temps : Le père de Mario, Shigeru Miyamoto, et le directeur chargé de la recherche, Genyo Takeda, ont pris l’intérim de Nintendo après la mort de Satoru Iwata. Faut-il s’attendre à un changement de stratégie ?
– Nintendo n’a pourtant pas annoncé grand-chose à l’E3. On ne sait rien de la future console NX et le jeu vidéo «Zelda» a été reporté d’un an. Vous comprenez la déception des fans ?
– La Wii U est pourtant globalement la console la moins vendue de sa génération…
– Comment analysez-vous la perte de terrain de Nintendo depuis six ans?
Le Temps : Que représente le marché suisse pour Nintendo?
– Nintendo n’a-t-elle pas perdu plusieurs années en refusant, dans un premier temps, de prendre le virage des jeux sur mobiles et tablettes?
Veuillez noter que le nouveau président M. Tatsumi Kimishima n’était pas encore nommé lors de la réalisation de cette interview. L’intérêt de cette interview est que le journaliste, Adrià Budry Carbó, met clairement les pieds dans le plat en posant certaines questions sensibles directement à un haut membre de Nintendo Europe. Nous vous en présentons l'intégralité.
Le Temps : Le père de Mario, Shigeru Miyamoto, et le directeur chargé de la recherche, Genyo Takeda, ont pris l’intérim de Nintendo après la mort de Satoru Iwata. Faut-il s’attendre à un changement de stratégie ?
Bernd Fakesch: Je ne pense pas qu’il y en aura dans les deux ou trois ans à venir. La gestion de Nintendo repose sur trois noms: Genyo Takeda a participé au développement de toutes les consoles. Shigeru Miyamoto est, lui, le créateur de nos principales franchises. Et Satoru Iwata a préparé le futur en lançant les bases de la nouvelle console NX et le développement de jeux pour smartphone. Toutes les grandes décisions étaient prises en concertation par ces trois hommes. Nous allons vers une continuité du projet.– Contrairement à ses concurrents, Nintendo se fait toujours discret au salon Gamescom. Vous n’avez, par exemple, jamais tenu de conférence à Cologne. Pourquoi ?
BF : Le groupe a toujours préféré miser sur le salon E3 de Los Angeles pour ses grandes annonces. La Gamescom, constituée à 90% de consommateurs locaux, est considérée comme un événement régional par Nintendo. En tant que directeur pour l’Europe centrale, j’espère qu’il gagnera en importance pour nous.
– Nintendo n’a pourtant pas annoncé grand-chose à l’E3. On ne sait rien de la future console NX et le jeu vidéo «Zelda» a été reporté d’un an. Vous comprenez la déception des fans ?
BF : Je la comprends partiellement. Les fans attendent toujours de nouvelles annonces. Mais, dans cette industrie cyclique qu’est le jeu vidéo, il y a toujours des périodes creuses. Ensuite, les critiques sur la prestation de Nintendo sont surtout venues des réseaux sociaux. Nous avons reçu des retours plutôt positifs des gens sur place qui ont pu jouer à nos nouveaux jeux.– Tout de même, on a l’impression que Nintendo ne sait pas utiliser les nouveaux outils de communication. Vos concurrents organisent de grandes conférences pour la sortie de leurs produits…
BF : Il ne faut pas oublier que Nintendo est une société japonaise, très influencée par le modèle d’entreprise nippon. Nous sommes centrés famille avec des produits jeunes et colorés. Notre stratégie a toujours été de convaincre en nous concentrant sur le «gaming» et en offrant de nouvelles expériences aux joueurs.– «Super Mario Maker», «The Legend of Zelda: Tri Force Heroes», «Star Fox Zero» : en énonçant les nouveautés de Nintendo, on a l’impression que vous misez sur les mêmes recettes depuis trente ans. Vous n’avez plus d’idées?
BF : Je pense qu’il s’agit d’une perception erronée. Depuis sa fondation en 1889, Nintendo a continué à se réinventer lui et ses franchises. Le jeu Super Mario Maker est le dernier exemple. Nous avons lancé une grande variété de jeux à succès ces dernières années comme Tomodachi Life ou Splatoon. Contrairement à Call of Duty ou Battlefield, qui sortent chaque année, nous ne développons nos licences, comme Mario Kart, qu’une fois par console Nintendo.– L’univers de Nintendo reste enfantin. Refusez-vous de grandir?
BF : Nintendo compte un héritage fort. Nous avons une communauté de fans loyale qui nous suit depuis l’enfance. Super Mario a trente ans. Mon plus jeune frère, comme toute sa génération, a grandi avec ce personnage. C’est notre meilleur ambassadeur. Notre objectif reste d’étendre la communauté des joueurs. Et nous y parvenons avec toujours plus de femmes et de familles.
– La Wii U est pourtant globalement la console la moins vendue de sa génération…
BF : Après l’énorme succès de la Wii [console la plus vendue de sa génération avec 101 millions d’unités ndlr], je pense que les attentes étaient trop élevées. Cette console était tellement aboutie que les consommateurs n’ont pas vu en quoi la Wii U – un produit plus compliqué avec ses deux écrans – était indispensable. La Wii U a été perçue comme un accessoire de la Wii et pas comme une console. Sur l’Europe centrale, la console pointe néanmoins à la deuxième place du marché.– Pourquoi n’y a-t-il pas plus de jeux de développeurs tiers sur les consoles de Nintendo?
BF : C’est l’autre problème de la Wii U. Nous n’avons pas été assez soutenus par les développeurs tiers qui devaient effectuer trop d’efforts pour adapter leurs jeux sur notre console. La Wii U est un bon produit mais ses deux écrans n’ont pas facilité la tâche aux développeurs étant donné que la PS4 et la Xbox One sont technologiquement plus semblables.
– Comment analysez-vous la perte de terrain de Nintendo depuis six ans?
BF : Dans un marché aussi cyclique, il peut être problématique de regarder les choses à court terme. Nous sortons de trois années de pertes financières. Mais, par rapport à la décennie précédente, nous sommes sur une croissance à deux chiffres. Nous misons sur un modèle de développement durable. Dernièrement, il y a eu un boom des jeux pour navigateur, puis des jeux Facebook. Tout cela s’est vite effondré. Heureusement, nous ne nous sommes pas lancés sur ce créneau. Sur ce marché, c’est l’innovation qui induit la croissance.– Mais Nintendo perd du terrain…
BF : Les jeux vidéo, c’est un business risqué. Nous ne pouvons pas nous comparer à Sony ou Microsoft, qui sont actifs dans d’autres secteurs. En comparaison, nous sommes une petite multinationale de 5 000 employés avec un chiffre d’affaires de 5 milliards de dollars. Nintendo n’est pas une entreprise technologique mais de divertissement. Nous devons nous concentrer sur nos forces. Cela étant dit, en Europe centrale, nous n’avons pas perdu de terrain par rapport à nos concurrents.
Le Temps : Que représente le marché suisse pour Nintendo?
BF : Les marchés allemand, suisse et autrichien représentent ensemble deux milliards d’euros. La Suisse environ 10% de ce chiffre, soit quelque 200 millions d’euros (217 millions de francs). Les Suisses sont per capita de plus gros consommateurs de jeux vidéo que les Allemands. Mais nous n’avons pas assez exploité le marché féminin suisse. En 2013, nous avons ouvert une succursale pour assurer nous-mêmes la distribution de nos produits. Cela nous permettra d’investir davantage pour atteindre ce public cible.
– Nintendo n’a-t-elle pas perdu plusieurs années en refusant, dans un premier temps, de prendre le virage des jeux sur mobiles et tablettes?
BF : Il est inutile de spéculer sur les gains que nous aurions déjà obtenus avec ces plateformes mobiles. Peut-être aurions-nous aussi vendu moins de consoles portables Nintendo 3DS. Personnellement, je vois plutôt notre partenariat avec DeNA – la compagnie qui développera des jeux pour mobile avec Nintendo – comme une extension de notre stratégie marketing, pas une diversification. Cela nous permettra d’attirer des nouveaux joueurs sur nos plateformes.– Nintendo a été l’un des pionniers avec sa manette pour la Wii équipée de capteurs permettant de retranscrire ses mouvements à l’écran. La nouvelle console NX prendra-t-elle le tournant de la réalité virtuelle?
BF : Je ne sais pas. Il n’y a que très peu de monde chez Nintendo qui soit au courant des détails du développement de la NX et ils n’ont pas l’autorisation d’en parler. Je ne fais pas partie de cette équipe. Le public doit de toute façon s’attendre à quelque chose d’innovant.N'hésitez pas à réagir à cette interview et aux propos du Président allemand de Nintendo Deutschland !
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