Alors que Ubisoft a longtemps combattu une tentative de prise de contrôle de la part de Vivendi, dans une guerre franco/française essentiellement, le PDG Yves Guillemot avait bataillé pour trouver des alliés solides et mettre le groupe à l'abri des appétits voraces des équipes de Vincent Bolloré. Parmi ces soutiens, on nota l'arrivée du géant chinois Tencent. Si le méga-conglomérat chinois possède déjà 5% du capital d'Ubisoft, le ver semble être dans le fruit quand on connait la fringale de Tencent pour acquérir des parts de sociétés dans de nombreux domaines.
Nous l'avons constaté durant les deux dernières années, Tencent a ouvert son carnet de chèques pour acquérir de nombreux studios. Même si à chaque fois les responsables de Tencent semblent laisser une totale autonomie aux studios acquis, on observe avec inquiétude cette frénésie d'achats car il y a bien un objectif final derrière tout cela.
Concernant Ubisoft, il a été évoqué par Bloomberg en avril dernier que des sociétés de capital-investissement étaient intéressées par Ubisoft, ce qui avait contribué à faire remonter le cours de l'action à l'époque. Des acquisitions qui correspondent bien au mouvement de concentration que l'on note ces derniers mois dans le secteur du jeu vidéo (Microsoft qui a proposé d'acheter Activision Blizzard pour 69 milliards de dollars mais dont le projet semble se heurter à différentes barrières administratives, Sony qui achète Bungie pour plus de 3,6 milliards, Take-Two qui a acheté Zynga pour 12,7 milliards de dollars). Il suffit de relire notre billet éco de chaque début de semaine rédigé par notre camarade Taranzangalor pour constater ces acquisitions régulières où les milliards semblent pleuvoir.
Ubisoft est une cible de choix car le colosse a connu de nombreuses difficultés ces dernières années, l'obligeant à réduire considérablement la voilure. Outre des retards de développement autour de ses franchises phares pour cause de pandémie Covid, rendant beaucoup plus compliquée la maîtrise des travaux répartis entre les différents bureaux un peu peu partout dans le monde et laissant au final une gamme de sorties en-dessous des attentes des joueurs (bugs, promesses non tenues, échecs de certains titres), il y a eu le mal plus insidieux des affaires de harcèlement au sein de certains bureaux, avec une réponse de la direction jugée bien trop tardive et insuffisante par des équipes internes.
Entre le départ négocié de certains, le départ fracassant d'autres n'en pouvant plus de l'atmosphère toxique de certains départements, des personnalités de l'entreprise qui avaient fait la fortune et l'estime du groupe ont dû également quitté le navire, minées par diverses accusations (le papa de Rayman notamment). Une véritable hémorragie des forces créatives qui étaient les piliers du groupe, à un moment où le marché s'est tendu, devant faire face aux pénuries des nouvelles consoles et du matériel graphiques des PC alors qu'en parallèle, les coûts de développement explosaient car nécessitant des équipes de plus en plus nombreuses pour proposer toujours plus grand, toujours plus beau, toujours plus complexe, mais sans pouvoir vendre réellement en nombre les jeux faute d'un marché coincé entre la génération précédente ne gérant pas les derniers moteurs de jeux et la nouvelle génération coûteuse pour les joueurs, qui peinent à se procurer leur PS5 ou Xbox Series X voir leur cartes Nvidia serie 30XX.
Comme les tensions ne se calment pas vraiment, Ubisoft a ainsi repoussé sa traditionnelle présentation époque E3 à plus tard, n'ayant pas grand chose à mettre en avant, et le PDG Yves Guillemot a lui-même récemment encouragé le personnel dans un e-mail à réduire les dépenses dans la mesure du possible. Enfin, en interne, Yves Guillemot reste chahuté et son propre fils Charlie, a quitté l'entreprise l'année dernière pour cofonder une start-up spécialisée dans les sports de fantaisie. Pas simple d'imaginer la transmission du relais quand on note qu'au passage, le marché mobile se porte très bien (Activision fait plus de bénéfices sur le marché mobile qu'avec le marché PC+consoles réunies) et Ubisoft a encore du mal à percer sur ce marché (on note les efforts actuels pour porter la franchise the Division) alors qu'elle réussissait mieux avec sa filiale Gameloft, une entité du groupe perdue dans la bataille qui l'a opposé à Boloré. C'est donc un moment opportun pour Tencent d'agir, et même vite.
Selon Reuters, Tencent aurait le projet de payer jusqu'à 104 dollars par action, soit plus du double de la valeur actuelle de l'action Ubisoft, pour être certain d'arriver à la prise de contrôle de 10% du capital de l'entreprise et devenir ainsi le premier actionnaire. Ici pas d'actions agressives à la manière de Vivendi via une tentative d'OPA mais bien le souhait de trouver un accord négocié avec l'aval de la famille Guillemot, des rencontres ayant été effectuées au plus haut sommet pour mettre en place des jalons et envisager le possible rachat de certaines parts ou la totalité des 15% directement détenus par la famille Guillemot elle-même.
Seule inconnue pour le moment, ce sont les propres difficultés de Tencent avec les règles mises en place par les autorités chinoises sur le marché antérieur, qui ont compliqué la tâche du géant. En effet, Pékin a signifié à plusieurs reprises sa méfiance vis-à-vis des jeux vidéo en voulant empêcher la jeunesse de passer trop de temps dessus. Toujours selon les différents analystes scrutant la situation du marché chinois, Tencent aurait perdu des dizaines de milliards de dollars devant ces complications, le gel des nouvelles approbations n'ayant commencé à se lever qu'au début de cette année, mais Tencent attend toujours les feux verts car le groupe n'a pour le moment été inclus dans aucun des quatre lots étudiés par le gouvernement depuis le mois d'avril 2022, tout ayant été bloqué à leur niveau sur le marché local depuis juin 2021. N'oublions pas que Tencent est le partenaire de Nintendo sur le marché Chinois et que peu de jeux Switch ont pu être édités sur le marché chinois à cause des attentes d'autorisation interminables imposés par le gouvernement de Pékin.
Une situation qui doit agacer Tencent et le pousse à poursuivre ses investissements sur le marché mondiale pour continuer à capitaliser sur les marchés externes, en achetant des compagnies ciblées avant que les concurrents comme Microsoft ou Embracer Group le fassent avant eux. Tencent est pour le moment la seconde plus grande entreprise de jeux vidéo au monde, Sony reste pour le moment le numéro 1. En amplifiant son importance au sein d'Ubisoft et en s'adjugeant ainsi une part du gâteau des franchises comme Assassin's Creed, Rayman, Far Cry, Watch Dogs, Just Dance, Prince of Persia ou Tom Clancy, Tencent pourrait talonner un peu plus prêt Sony.
En attendant la confirmation de tout cela, le cours de l'action d'Ubisoft a connu une jolie progression de 15% ces deux derniers jours.
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