Ce début d’échange nous permet de revenir sur la nomination récente de M. Trépanier et de pouvoir parler un peu de Nintendo Canada. C'est donc au Québécois Pierre-Paul Trépanier qu’incombe depuis le 1er novembre 2014 la tâche de superviser les efforts de Nintendo au Canada. Sa mission : faire le pont entre le Japon et le Canada, en particulier le Québec, où la marque nippone a un peu plus de difficultés qu’ailleurs.

Avant d’être recruté par Nintendo, M. Trépanier avait travaillé pendant sept ans au Japon. Il parle donc la langue, un atout important dans une entreprise dont la culture japonaise est très forte. C’est aussi un avantage dans l’accomplissement de l’une de ses missions : mieux faire comprendre ici les jeux produits par Nintendo.

« J’espère pouvoir faire le pont, surtout que je suis moi-même un grand amateur de jeux, explique-t-il. Souvent, c’est un grand défi pour nous d’expliquer ce qui fait qu’un jeu est bon. Nos artistes ont une vision du monde particulière, mais leurs jeux sont universels. Souvent, nos projets résonnent immédiatement au Japon, mais moins ici. »

« Il y a des jeux, comme Mario Kart et Super Smash Bros., qui sont très universels et avec lesquels c’est plus facile. Mais nous avons des difficultés à expliquer au grand public nos nouvelles propriétés intellectuelles. On nous demande constamment d’arriver avec du nouveau, mais quand on le fait, on n’arrive pas à faire comprendre le concept. Quand un jeu ne correspond pas à un certain prototype, comment fais-tu pour le présenter ? ».

Il donne l’exemple de Tomodachi Life, un jeu qu’il décrit comme un « jeu d’observation, d’interaction sociale ». « Au Japon, ça marche. Ici, ça va bien, mais ça pourrait être mieux. »

Parlez-nous un peu de Nintendo Canada ? Êtes-vous uniquement un bureau de vente ?

Nous sommes une filiale de Nintendo of America, mais nous sommes totalement indépendants. Nous sommes surtout une organisation de vente et de marketing pour le marché canadien, mais nous nous occupons également du SAV, de proposer une aide aux utilisateurs, des aspects comptables et financiers pour tous ces services. Nous nous occupons de tout le merchandising pour le Canada et les relations publiques, la communication d'entreprise. Et nous avons accompli de gros efforts de francisation de nos produits afin que les Québécois puissent jouer à leur jeu préféré dans leur langue.

Comment le Canada diffère des autres pays où s'implante Nintendo?

« Nintendo Canada est une entité beaucoup, beaucoup plus petite. Nous sommes probablement l’une des plus petites filiales, avec quelques 20 personnes au siège social et quelques 60 personnes à travers le pays, contre quelque chose comme 1200 aux États-Unis. Nous ne sommes pas impliqués dans le développement de la totalité des produits ou dans la gestion des licences, de sorte que nous ne travaillons pas directement avec les développeurs de logiciels tiers ou même des fabricants de marchandises liées à une licence, comme les T-shirts et des trucs comme ça.

Notre travail est essentiellement axé sur la communication auprès des Canadiens pour leur faire comprendre combien les jeux Nintendo sont toujours sources d’amusement. Avant, au Québec, Nintendo était synonyme de jeu vidéo. On disait “jouer au Nintendo”. Il s’est passé quelque chose, ça a changé. Il faut trouver comment ramener cela.»

Comment se comporte actuellement le marché canadien envers Nintendo? Est-ce différent d’ailleurs, par exemple les États-Unis ?

On me le demande régulièrement car je passais pas mal de temps dans les deux pays. Les Canadiens semblent préférer les jeux sur console de jeu portable par rapport aux États-Unis, et même beaucoup par rapport à d'autres marchés comme le Japon, où le jeu portable est beaucoup plus grand. Mais cela s’améliore pour la Wii U, les joueurs canadiens aiment aussi se réunir dans le salon, les ventes décollent même un peu plus qu'aux États-Unis.

Au Canada, il y a une base de fans Nintendo extrêmement importante, bien fédérée. Avec des franchises traditionnelles comme Zelda, Nintendo Canada cartonne par rapport aux autres marchés. Nous accordons beaucoup d’attention aux tarifs car les consommateurs ici sont très conscients de la valeur d’un produit, bien plus que sur d’autres marchés. Nous travaillons avec nos partenaires de vente au détail pour proposer régulièrement des promotions et il faut reconnaître que nos partenaires sont extrêmement réactifs au Canada, plus que sur d’autres marchés.

Quel est votre sentiment concernant le marché du détail au Canada, notamment après la fermeture de plusieurs grandes chaînes comme Future Shop?

Ce fut une épreuve du feu pour moi en étant le nouveau directeur général au Canada, l’annonce de leur fermeture en mars 2015 nous a fait mal et continue de nous faire du mal. (NDLR : Une liste des créanciers de Target Canada montre quelques jolies dettes non rémunérées. Ainsi Target a une créance de 3,6 millions de dollars auprès de Nintendo Of Canada. En parallèle à cet épisode douloureux, il y a la disparition complète des boutiques Future Shop au Canada, Future Shop avait été acheté par le géant américain Best Buy en 2001 pour la somme de 580 millions de dollars).

Ce sont des changements massifs dans le modèle de vente des produits au détail, dans un contexte où la popularité des sites internet comme NewEgg, la hausse des prix sur les jeux, la popularité des achats virtuels, tout cela conjugué confère à redessiner le marché de la vente physique au Canada. C’est cet « après séisme » (NDLR : 66 magasins d’une même chaîne ayant fermé brusquement) que nous essayons de gérer le mieux possible. Nous investissons plus de temps et d'énergie à développer des relations avec nos détaillants qui se portent bien. Nous continuons à faire la majeure partie de notre chiffre d'affaires avec les détaillants et nous nous attendons à ce que cela continue d'être vrai.

Cela étant dit, nous voyons les ventes numériques dans notre eShop en augmentation constante, il représente maintenant environ 30% des lancements de nouveaux logiciels alors qu’il y a très peu d’années, nous étions proche du zéro.

Regard sur la stratégie Nintendo et les mobiles

Que pensez-vous de l’engagement récent de Nintendo vers le marché portable ?

Je vais être honnête, je n’ai pas tous les détails de ce qui va être réalisé outre le fait que nous allons avoir dès cette fin d’année plusieurs titres au lancement de ce programme. Pour moi, le facteur clé pour une réussite dans ce domaine est que pour trouver le public des smartphones et tablettes, il faut vraiment s’assurer que les jeux soient en adéquations avec les habitudes et styles de jeux de ce marché de joueurs.

Lorsque vous jouez sur votre smartphone, cela dure en fait quelques minutes, comme une simple collation. Bien que nos grandes licences IP soient probablement en vedette dans un avenir proche, je pense qu'ils vont être tout à fait différents de ce que vous pouvez trouver sur une 3DS. Il me paraît difficile de pouvoir proposer sur le marché mobile une expérience de jeu nécessitant une vingtaines d’heures comme nous pouvons le proposer sur 3DS.

Y-a-t-il une crainte que le marché mobile cannibalise le marché console ?

C’est un aspect que nous avons étudié, notamment par le biais de plusieurs études de marché aux États-Unis, car effectivement c’était une question pertinente qui nous préoccupait. Les données recueillies suggèrent que le jeu sur dispositif tablettes et smartphones doit surtout être progressif. Pour Nintendo, le marché mobile est vraiment l’occasion pour la firme de présenter ses IP à une nouvelle génération de joueurs puis de les attirer à poursuivre la découverte de la licence vers une expérience de jeu plus profonde sur console de salon et portable.