Vous êtes le dernier
Au début, Jungle était une entreprise comme on en connaît : livraison à distance, productivité exacerbée, conditions de travail déplorables, idéologie discutable et réappropriation des symboles d’une minorité pour se donner bonne conscience. Plus le temps passe, plus la situation change : au lieu des humains, les robots commencent à faire leur apparition (le reste ne change pas. Si ce n’est que les humains doivent s’aligner sur les conditions de travail des robots et leur productivité). Jusqu’au jour où vous, Kurt, êtes “The Last Worker”, le dernier humain à travailler à Jungle. La boîte est tout pour vous ! Vous y logez même, ne sortez jamais des locaux et tous les matins, vous enfourchez un transpalette flottant pour aller faire votre travail.
Complètement dystopique, The Last Worker commence petit à petit à montrer son vrai visage : un petit robot, piloté par une humaine à l’extérieur du complexe, vient vous proposer de vous rebeller, de mener une petite révolution. Le monde extérieur tombe en ruine, les ressources sont de plus en plus rares. Vous seul pouvez encore détruire Jungle de l’intérieur. Mais le voulez-vous vraiment ?
Par bien des aspects, The Last Worker interroge : il questionne notre rapport à la consommation de masse (notamment avec le décalage entre le contenu des colis que vous livrez et les quelques informations que vous obtenez sur l’extérieur) ; mais aussi sur notre rapport au travail. Si les thèmes sont profonds et actuels, l’exécution, elle, manque de finesse et de subtilité. A vouloir y aller avec des gros sabots, le jeu y perd dans le rythme : les phases s'enchaînent et parfois ne semblent absolument pas liées entre elles, sans compter que ce manque de finesse dans la narration donne lieu à quelques incohérences.
Toujours plus productif !
Puisqu’il faut faire tourner l’usine, voyons comment tout ceci se joue. Comme évoqué, il y a plusieurs phases de jeu, dépendant du scénario. Ce n’est donc pas dans un ordre précis. Vous pourrez enchainer plusieurs journées de travail avant de voir arriver le petit robot qui va vous emmener ailleurs, dans d’autres zones de l’usine. Commençons donc par le plus simple : le travail ! Mais avant de commencer, notons quelque chose : The Last Worker n’était pas destinée à la Switch. A l’origine, il s’agit d’un jeu en VR, conçu pour être incarné grâce à la réalité virtuelle. Et cela se sent : que ce soit dans le gameplay ou dans le graphisme, on sent l’absence de liberté induite par le changement de support.
Votre job consiste à livrer des colis, ou plutôt à aller les chercher sur les étagères de l’entrepôt pour ensuite les mettre dans deux tubes d’envoi : le bleu quand tout est ok, le rouge s’il y a le moindre problème ou consigne. Monté sur votre transpalette flottant, vous allez pouvoir vous diriger aussi bien à droite et à gauche qu’en haut et en bas. Devant vous s’affiche une petite carte, disponible en appuyant sur le joystick droit. Un tracé lumineux vous indique vers quel colis vous devez vous diriger. Ensuite, vous pouvez régler la hauteur avec les gâchettes L et R et vous diriger avec l’autre joystick. Un peu à la Portal, vous disposez d’une sorte de canon qui vous permet d’attraper les colis même avec un peu de distance et de les lancer. C’est là que commence le boulot de vérification.
Pour savoir si un colis est livrable, il y a plusieurs choses à vérifier : le poids (en le posant sur le transpalette, il doit correspondre à l’étiquetage du colis), l’état du carton, sa dimension. Si quelque chose cloche, vous lui coller une étiquette en fonction du problème et hop, dans le tuyau rouge. Si tout va bien, hop dans le tuyau bleu. En fonction de votre rapidité d’exécution, vous disposez d’un score. A la fin de la journée, vous êtes noté sur vos performances. On vous conseille de rester dans le J (pour Jungle, le score le plus haut) pour contenter votre employeur ! Vous découvrez au passage ce que commande la population extérieur et vous ne serez pas déçu du voyage.
Révolte !
Et pour le reste ? On l’a dit, The Last Worker se veut un jeu avec un propos plus profond, avec la volonté de jouer sur le cynisme d’une société capitaliste et consumériste et la prise de conscience progressive d’un employé qui reste sans trop savoir pourquoi, qui vit à l’intérieur de l’usine et dont le meilleur ami est un robot volant. Rapidement donc, vous allez vous retrouver entraîné dans des phases de pseudo infiltration. Toujours monté sur votre transpalette personnel, vous allez utiliser votre canon non plus pour récupérer des colis mais pour enlever des plaques d’aération et vous infiltrer à l’intérieur.
Ensuite, la plupart du temps, vous suivez un robot contrôlé par une femme qui va vous emmener dans des zones interdites mais pourtant surveillée de l’usine. Vous devez donc passer tout en évitant les robots de surveillance qui, avouons-le, ne sont ni très réactifs, ni particulièrement difficiles à esquiver. C’est là que l’on retrouve toute la maladresse du gameplay. A vouloir en faire trop, certains aspects sont restés un peu brouillon : les sentinelles laissent de grandes zones non surveillées pour vous planquer. Les alarmes semblent ne pas vraiment fonctionner. Échouer vous fait juste recommencer quasiment à l’endroit où vous avez raté, n'entraînant aucune véritable difficulté. Cependant, c’est un point positif : parce que votre transpalette n’est pas vraiment maniable et que vous allez être rapidement mis en difficulté par la direction non-assistée.
The Last Worker est un jeu ambigu. Que ce soit par son gameplay ou son propos, il joue sur plusieurs tableaux : celui du pamphlet contre notre société et ses dérives, mais aussi sur l’humour et le décalage notamment avec les produits que vous allez envoyer. Côté gameplay, la rigidité des contrôles ajoute artificiellement une difficulté non nécessaire, tandis que le scénario essaie tant bien que mal de maintenir la cohérence d’ensemble. Mais cela soulève plus de questions que ça n’offre de réponses : dans une usine 99,99% robotisée, pourquoi garder un humain ? Comment se fait-il que personne ne sait qu’il vit littéralement dans l’un des sous-sols ? Comment peut-il entrer dans des zones sécurisées sans subir aucune conséquence sur son travail ? Beaucoup de questions, trop peu de réponses. Mais de belles pistes de réflexion qui méritent qu’on s’y penche.
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