Nintendo : quelle image auprès du grand public et des gamers ?
Nintendo a toujours été une marque à part dans le monde des jeux vidéo. Souvent accusée, à tort ou à raison, de privilégier les joueurs occasionnels vis-à-vis des Core Gamers, une grande partie du public de Big N s'est tournée vers la concurrence. Et si, avec la Switch, Nintendo tentait une nouvelle approche marketing ?
DossierL'avant 2006
Nintendo est une marque particulièrement intéressante à analyser, surtout en ce qui concerne sa stratégie marketing, on ne compte plus les mémoires d'étudiants en marketing qui s'intéressent au constructeur. Relevant tantôt du génie ou tantôt inspirant les moqueries, voire tombant complètement à côté de la plaque (on s'en rend malheureusement compte un peu tard !), la communication de Nintendo laisse une impression globale d'incohérence et d'hésitation.Pourtant, si l'on prend du recul, on peut remarquer qu'il existe malgré tout une sorte de ligne directrice suivant les époques. D'ailleurs, constatons qu'à ce niveau, deux périodes peuvent être distinguées : l'avant et l'après Wii-DS. Ces dernières sont effectivement des charnières entre deux ères, deux manières radicalement différentes de concevoir le jeu vidéo, et surtout deux communications s'adressant à des publics totalement différents.
Nintendo sort, avec le GameCube et le Game Boy Advance, d'une période relativement compliquée. La console GameCube n'est pas parvenue à trouver son public, sortie bien trop tard face à la concurrence rude de la Playstation 2, armée de son lecteur DVD (rare pour l'époque) et de grosses exclusivités (ne manquez pas le dernier PN Show au sujet du GameCube sur YouTube pour en savoir plus sur l'histoire de cette console !). Pourtant, le GameCube était une console façonnée pour les fans de Nintendo, et plus globalement les joueurs en général. Dotée d'une manette à l'ergonomie irréprochable et étant bien plus puissante que la console de Sony, le GameCube avait tout pour plaire. Cependant, le destin en décida autrement, et la console se vendra à peine à 20 millions d'exemplaires. Un échec pour Nintendo, qui se devait de se ressaisir.
Pour en savoir plus sur la sortie du GameCube, n'hésitez pas à lire notre Retour sur... le GameCube.
L'ère Wii (2006-2012)
Vient donc l'idée de la Wii, et de la technologie de détection de mouvement. L'intérêt de cette technologie est qu'elle est relativement intuitive. "Tu veux être un danseur ? Pourquoi appuyer sur une série de touches qui n'ont aucun sens ? Lève-toi et bouge ! Tu veux incarner Link ? Incarne-le vraiment et frappe tes ennemis !" L'intérêt de la Wii est que son concept est facilement compréhensible, en plus d'être simple d'utilisation. Attention, on dit "simple", et non "simplet", ne nous faites pas dire ce qu'on n'a pas dit, l'auteur de ces lignes est arrivé jusqu'ici grâce à l'ère Wii... Bref ! Nintendo et en particulier Satoru Iwata imaginent que cette console et son concept peuvent attirer un nouveau type de joueur, un joueur qui voyait les jeux vidéo comme un loisir peu accessible, complexe et surtout assez abstrait, voire parfois complètement violent ou idiot.Nintendo décide de ce fait d'axer sa communication autour de jeux vidéo intuitifs, fun, d'accès facile, qui ne nécessitent pas de temps d'apprentissage. "Un jeu de tennis ? Facile, mets-toi devant ta télé et imagine que tu joues au tennis". L'idée est également d'axer son discours sur des jeux respectueux de la santé du joueur (rappelons-nous le message diffusé entre deux parties, nous conseillant de faire une pause), pour sortir du stéréotype du joueur passant des journées sur sa console, volets fermés, le thermos de café posé sur sa table basse... (ne riez pas, on l'a tous fait au moins une fois !), et surtout ne pas associer l'image de sa console à l'exclusion, l'enfermement, etc. Le fait de sortir une série de jeux sportifs (Wii Fit, Wii Sports, etc.) rejoint également cette volonté. La Wii, auprès du grand public, doit être une console sur laquelle on s'amuse quelque soit notre âge, tout en restant en bonne santé.
Afin d'illustrer ces propos, voici deux publicités, une première pour le GameCube et la seconde pour la Wii. Ces vidéos datent des lancements des consoles, 2002 et 2006 en Europe.
La publicité du GameCube, outre son aspect très psychédélique et parfois assez barré, très symptomatique de l'époque (allez vérifier les publicités du concurrent, elles sont très drôles...), est au final assez agressive : couleurs ternes, sombres, musique rythmée... "Le GameCube, c'est une console pour les gamers, t'as compris ?!" La vidéo fait passer le message comme quoi le GameCube nous permet de vivre plusieurs expériences différentes et variées, matérialisées par des Cubes où se déroulent différentes situations : combat, vaisseaux, basket, jet ski... Du classique dans le monde des jeux vidéo.
A noter également un adolescent torse nu assis sur son lit jouant aux jeux vidéo, le cliché même que Nintendo a plus tard essayé d'éviter avec sa Wii. On remarque donc que cette publicité correspond à la volonté d'orienter le GameCube comme une console pour gamers, tout comme l'a fait la concurrence, Playstation et Xbox. Enfin, le slogan en fin de vidéo : "Life's Game": la vie est un jeu.
Avec la Wii, Nintendo a voulu se démarquer de Sony et Microsoft en axant sa campagne de communication, comme nous pouvons le noter grâce à cette publicité, sur un autre public : les joueurs occasionnels, ou "casual gamers" en anglais. On remarque donc que la détection de mouvement est centrale dans cette vidéo : aucune image de jeu, que du concept. On imagine très bien ce à quoi jouent les personnes, puisqu'elles font les gestes: jeux d'avion, sport, course... La Wiimote est également centrale, puisque c'est elle la fameuse révolution longtemps promise par Nintendo : le joueur, c'est vous. Slogan d'ailleurs repris par Microsoft pour Kinect...
Notons également que tous les âges sont représentés, contrairement à la vidéo du GameCube, où des jeunes adultes étaient davantage mis en avant. Tous les sexes également, ainsi que toutes les origines : la Wii c'est pour tout le monde, littéralement. Pas de violence, musique classique : ne surtout pas choquer !
Ce virage aura été payant, puisque Nintendo a vendu 101 millions de Wii et plus de 150 millions de DS. Un carton, qui plaça Nintendo dans une position de leader commercialement. Cependant, son image était plus que ternie auprès des gamers, trouvant que la Wii, du fait de sa faible puissance et de son relatif manque de jeux pro-gamers (n'est-ce-pas ?), ne convenait pas à leurs besoins. Si les fans Nintendo pourront toujours argumenter à coups de Zelda Skyward Sword et de Xenoblade Chronicles, le mal est fait : ces jeux étaient noyés dans une flopée de party-games et autres jeux à licence qui ont dès 2008 terni l'image de la console.
Le constructeur, avant d'aborder la génération précédente, est donc en position de totale domination du marché, sur portable comme sur console de salon. Qui pourrait imaginer Nintendo, marchant sur l'eau depuis 2006, se rater à la génération suivante au point d'avancer la sortie de sa future console ?...
L'ère Wii U (2012-2016)
L'erreur principale de Nintendo a été d'imaginer que les gens possédant une Wii allaient racheter une Wii U. Partant de ce postulat, la Wii U a été, pardonnez-nous l'expression, "marketée" de la même manière que la Wii. Prenez juste le nom de la console, qui contient encore le nom de son prédécesseur, avec uniquement un "U" abstrait pour marquer la nouveauté. Insuffisant pour faire comprendre aux gens qu'ils sont face à une nouvelle machine. Ajoutons à cela la présentation cacophonique de la machine à l'E3 2012, et plus d'un consommateur en a perdu son Latin.D'ailleurs, petit aparté, si l'on se penche sur les noms des consoles Nintendo, on remarque qu'ils évoquent clairement l'atout de la console, le concept, l'argument de vente. Nintendo DS ? Dual-Screen, double écran en français. Nintendo 64 ? 64 bits, référence à la puissance de la console. Nintendo Wii ? Ahah, difficile ! Nintendo n'a jamais fait de déclaration officielle à ce sujet, mais l'on peut quand même tenter une analyse. Wii peut se transformer en "we", "nous" en français (voir dans ce dossier paru sur PN en 2007 la communication faite par Nintendo autour de ce nom : pourquoi le nom Wii ?). La console rassemblerait donc les joueurs de tous âges, origines, sexes, etc, autour du jeu-vidéo, le "nous" rappelant la famille. Bien entendu, cela reste de la pure supposition !
La Wii U, si l'on suit cette logique, est le prolongement de la Wii. Nintendo a cette fois, dès 2011, clairement expliqué son patronyme: le "we", "nous", fait référence à Nintendo, les développeurs de manière générale, et le "U" (prononçable "you", "vous ou "toi" en français) correspond aux joueurs, la machine étant l'interface entre les deux entités. Si l'on pousse l'analyse encore plus (trop ?) loin, on peut supposer que ce nom fait écho au concept de gameplay asymétrique. Le "toi" rappelant le joueur tenant le GamePad, seul sur son écran, et le "nous" faisant référence aux personnes jouant avec les Wiimotes. Si cela s'avère être vrai, c'est beaucoup trop compliqué pour être compris du grand public.
Nintendo s'est tout de même rendu compte qu'il fallait, avec la Wii U, reconquérir un public perdu avec la Wii, les gamers. Le Japonais s'est donc empressé de confier à Ubisoft le développement d'un jeu d'horreur, ZombiU. De plus, le constructeur a décidé, une énième fois, de nous promettre de tout faire pour choyer les éditeurs tiers sur sa console. En 2012, pendant la conférence d'annonce de la console, Nintendo diffuse donc un trailer montrant de nombreux jeux éditeurs tiers, censés arriver sur Wii U : Mass Effect, Darksiders, Dirt... Si beaucoup ne seront finalement pas sortis sur la console (coucou Dirt que l'on attend toujours), le plus gros raté aura été de présenter des jeux tournant sur... Playstation 3. La suite montrera qu'encore une fois, les tiers ont délaissé la console...
La communication autour de la Wii U aura été, on le sait, calamiteuse. Dès son annonce, le fameux Project Café aura déçu : accessoire pour la Wii ? Nouvelle console ? Après le succès de la communication autour de la Wii, sûrement dû à la facilité de compréhension de son concept, voir Nintendo louper autant son annonce est pour le moins déconcertant ! D'autant plus que la suite ne sera pas non plus une réussite : déclarations contradictoires au sujet de l'utilisation de deux GamePads, pour qu'au final cela soit confirmé par Reggie Fils-Aimé sur scène... Bref.
Voici la vidéo d'annonce de la Wii (2005) et celle de la Wii U (2011)
Bref, la plus-value apportée par la console n'est pas assez marquante et suffisante pour justifier un achat. D'autant plus que la Wii n'a au final, chez la plupart des familles, pas énormément servi : qualifiée "d'appareil à raclette" par certains, tant son utilité se limitait à quelques soirées entre amis. On connait tous des anecdotes de consoles ayant vite quitté le salon familial pour finir dans une chambre, les donjons de Zelda ayant tout aussi rapidement remplacé les parties de tennis avec ses parents...
La Wii U a eu la malchance de n'avoir pas pu expliquer son concept, et de ne pas avoir un intérêt facilement compréhensible. "Avec la Wii U, je peux jouer à un jeu puissant, de console de salon, dans ma main pendant que mon père regarde son match. Ah mais oui mais si je veux quitter la pièce eh bien je ne peux pas... Et puis les Wiimotes (et là vous me dites Swit... Non, pas maintenant !) "Et puis, à quoi il sert ce deuxième écran ? La console, c'est le deuxième écran ? C'est une nouvelle DS ?" Personnellement, pour expliquer à ma mère le concept de la Wii U et son principe de gameplay asymétrique... j'ai dû l'y faire jouer.
C'est en cela que réside le vrai problème de la Wii U : pour comprendre son intérêt, il faut y jouer. On ne peut pas comprendre son concept en regardant une publicité : tout l'inverse de la Wii et de son succès immédiat. Le constructeur n'est donc pas parvenu à expliquer un concept, il est vrai assez compliqué, à l'image de cette publicité de lancement.
Et le futur ?
Le futur de Nintendo se résume en un mot: "Switch", qui lui même résume un concept : alterner selon les moments de la journée entre deux écrans, pour un seul jeu. Voilà, en une phrase, la philosophie est comprise. Nintendo a donc, semble-t-il à ce stade, appris de ses erreurs en imaginant un concept simple à marketer, et à comprendre.Voici la vidéo d'annonce de la Switch, publiée en octobre 2016
On a pu lire ici et là que Nintendo s'adressait également à ceux ayant grandi dans les années 90 avec les licences Nintendo. Pourquoi pas ! A noter également une vidéo d'annonce mille fois plus cool et moins formelle que celle de l'annonce de la Wii et de la Wii U: on retrouve ici une musique rock (Ha Ha Ha Ha (Yeah) de White Denim), des joueurs allant faire du karting, du basket... Bref, cela colle plus à notre quotidien, c'est moins publicitaire et beaucoup plus authentique... et donc plus efficace.
A l'image de cette vidéo, Nintendo est également en train d'effectuer un virage quant à l'utilisation de ses licences. Autrefois si protecteur, Big N autorise ses icônes à servir de mascottes dans les parcs, ses musiques à être jouées à la télévision par Miyamoto... Tout cela est une volonté de replacer Nintendo et son image au centre des préoccupations et des centres d'intérêts du public, en s’immisçant dans leurs émissions quotidiennes par exemple. Nintendo assume son image de marque mainstream, et entend nous le prouver dans les mois qui viennent avec la sortie de la Switch.
Bref, on peut penser que Nintendo a appris de ses erreurs en communiquant intelligemment sur sa console. La décision de ne pas faire de Nintendo Direct pour son annonce en janvier, mais une véritable conférence (le format reste néanmoins à confirmer mais on sait qu'il faudra se lever tôt le matin le vendredi 13 janvier 2017 !), est un exemple frappant (vous pouvez d’ailleurs retrouver ici un dossier complet sur les méthodes de communication, rédigé par l'ami Valentin). Nintendo veut donner une image de conquérant, de marque forte, qui fait des annonces avec débauche de moyens, tout l'inverse d'un Nintendo Direct au rythme si lent... !
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Au contraire, Kimishima semble avoir adopté une attitude bien plus stricte concernant ce qu'il faut montrer et quand. Jusqu'en septembre, on entendait dire des dirigeants de Nintendo qu'ils montreront la Switch quand ils seront prêts, et malgré la santé moribonde de la Wii U, les ventes qui s'écroulaient de mois en mois et les derniers développeurs qui quittaient le navire, Nintendo n'a pas cédé à la pression des investisseurs, si ce n'est en donnant une date (mars 2017) pour les tranquilliser.
Ainsi, je trouve que leur communication, plus maîtrisée, participe d'une attitude à nouveau tournée vers les clients (les joueurs), alors qu'elle s'en était éloignée pendant des années au profit des investisseurs. Ce qui est normal: ce sont eux qui ont les actions et qui donnent des sous. Sauf que négliger les joueurs, c'est mettre en jeu le succès de la console, donc les ventes de celle-ci, donc la bonne santé de l'entreprise, donc la satisfaction des actionnaires. Ce dernier changement de cap ne peut donc être que bénéfique.
Merci à toi de l'avoir lu ! Ce ne sont pas contre pas des infos à proprement parler, mais plus des analyses personnelles. :p
Et un bravo général (en mode cirage de pompe) à l'équipe de PN pour vos articles quotidiens qui témoignent de votre passion et sont riches d'informations.