Entretien avec un Prince déchu
Minuit quinze. Le vent claquait les fenêtres de la salle à manger. Un froid perturbant glaçait le mobilier. Je posai près de la petite table au-dessus de la cheminée la jaquette du jeu Prince of Persia L’âme du guerrier. Tandis que je m’apprêtais à me coucher, un bruit sourd provint soudain depuis la cuisine. Les sens à demi-éveillés, j’avançais avec précaution vers le lieu où j’avais entendu distinctement le vacarme étouffé. Y avait-il un intrus chez moi ? Je pénétrai furtivement dans ledit lieu et allumai derechef la lumière. Quelle ne fut pas ma surprise lorsque je remarquai en face de moi, séparé d’une distance de deux ou trois mètres tout au plus, le Prince du jeu vidéo en question... et ce en chair et en os !«Je... Je dois rêver !!» M’exclamais-je de toute mes forces, transporté par la surprise la plus improbable du monde. «Tu ne rêves point, me répondit le légendaire guerrier en me regardant droit dans les yeux. Je suis ici parce que tu as prononcé la phrase magique quatre fois... Cela t’a peut-être amusé mais moi guère. J’ai des occupations !». « Mais... Enfin c’est totalement impossible ! C’est un jeu vidéo bon sang ! Un jeu vidéo !» Le prince changea radicalement d’expression et appuya sa paume contre son sabre rangé le long de sa cuisse, fronçant les sourcils. «C’est quoi, un jeu vidéo ?! me rétorqua t-il » Sans voix, je le conduisis vers le salon où ma console était entreposée et lui montrait la jaquette du jeu à son effigie. «C’est moi !» lança-t-il emporté par une espèce d’énergie. «Oui, c’est toi. Et j’ai justement quelque chose à te dire, te concernant». «Tu peux m’en apprendre sur moi ? Hum. Eh bien vas-y je t’écoute.»
J’invita mon hôte surnaturel à s’asseoir et lui servis un thé à la menthe. Il sembla apprécier. Je voulais appeler mon rédacteur en chef, Xavier, pour lui expliquer l’expérience incroyable que j’étais entrain de vivre mais je changeais d’avis à la dernière minute. De toute façon, il ne me croirait pas. Peut-être aura-t-il le soupçon de se dire à la lecture de ce test que ce qu’il s’est produit chez moi, ce soir du 24 décembre, était la stricte vérité... ;-)
Ne voulant point impatienter davantage le Prince, et par la même occasion éviter le risque qu’il se mette dans un état d’énervement qui pourrait me coûter la vie ou un bras tout au moins, je rejoignis sans tarder mon emblématique convive. Il posa son épée sur ses genoux et fit mine de m’écouter. Je lui expliquai, longuement, en quoi consistait mon métier de testeur etc.... Il se souleva soudain de son siège animé par une colère épique «alors comme ça tu connais toutes mes pérégrinations ! Sorcier ?! Et tu... tu te permets de les juger ?! On ne met pas un chiffre au Prince ! On n’attribue pas de note à la noblesse ! Malheureux !»
Certes, mais ce que le Prince allait apprendre par la suite, c’est que ses nouvelles aventures, elles avaient d’autant plus de valeur qu’elles brillaient de par de vraies qualités... de nobles qualités. De plus, je n’étais pas un sorcier. La magie était en lui, pas en moi. Du moins c’est ce que je croyais.
Le prix de la maturité
Le Prince me lança un de ses regards les plus froids et déclara d’une voie si pure qu’on aurait pu la boire «alors puisque l’on en ait arrivé à ce point, je veux affronter la vérité. Dis-moi ce que je suis pour vous, les humains. Dis-moi ce que vaut vraiment ma vie. Dis-moi qui je suis.» Ses yeux renvoyaient une image à la fois de mélancolie mais aussi de sincérité. Il méritait qu’en retour je lui renvoie l’appareil. «Tu veux tout savoir de tes aventures sur l’île maudite ? Alors voici la vérité :A force d’avoir usité et abusé de la dague du temps dans «Les sables du temps», la mort a décidé de te pourchasser et de t’envoyer en enfer, considérant que ton heure a déjà trop de fois sonné. Tu n’as pas vu les choses de cette manière et tu as décidé de te rendre sur une île maudite où parait-il on dit qu’il s’y trouverait la solution à l’inéluctabilité de ton décès. On raconte aussi que sur cette île est gardé le plus précieux secret des sables du temps, et qu’il serait possible d’annuler tous les événements qui se sont produits par un rituel particulier...
Ton courage et ta bravoure passée ont forgé en toi pour cette seconde aventure le cœur d’un guerrier exceptionnel. Mais le prix à payer pour cette évolution à la fois bestiale et féline est une sombre maturité qui se lit sur ton visage. Ton expression est plus grave et tes yeux reflètent une tristesse indéfinissable. Tu as appris beaucoup de nouveaux mouvements désormais. Tes techniques de combats sont bien plus variées et tu sais aussi bien combattre à deux mains que voltiger mortellement depuis un poteau à vive allume. Si guerroyer ne te fait pas peur, faire l’acrobate est pour toi une seconde nature. Tu sais à peu près grimper n’importe où et rebondir d’un mur à l’autre en évitant les pièges les plus menaçants avec une célérité hors norme. Et bien sûr tu peux accentuer ton don naturel grâce à ta dague du temps, te permettant de ralentir ou d’accélérer tes actions selon les occasions.
Tes péripéties sur cette île maudite sont plus longues que ta précédente aventure où tu devais sauver le peuple de Farah.» «Farah !! Où où est-elle ?! Heu... Pardonne-moi. Je fus emporté par un songe. Tu ne peux pas savoir ô combien...» «... Cette fille compte pour toi ? Je sais» repris-je sans laisser passer un souffle. Le Prince inclina sa tête et me fit signe de continuer. Je reprenais. Mes paroles semblaient l’intéresser. «Je disais donc que tes aventures sont maintenant au moins deux fois plus longues et toujours aussi passionnantes. Tu dois faire face à des énigmes aussi tordues que tes ennemis sont menaçants. Les voyages dans le temps te permettront de visiter les lieux plusieurs fois afin d’en percer tous les secrets. Les paysages à traverser son magnifiques mais sombres; en corrélation parfaite avec ton âme tourmentée. Mais n’est-ce point ça, l’âme d’un guerrier ?
Une musique t’accompagne tout le long de ce jeu mi plate-forme mi combat, heu... de ta quête pardon. Elle est agressive et en relief lors des scènes de combats tandis qu’elle sait se faire plus silencieuse et mystique lors des phases d’exploration.» «Que nenni ! Je n’entends rien d’autre que les murmures de la colère ! me coupa le Prince. La seule musique qui résonne, ce n’est pas celle que tu décris, ce sont des lamentations fantomatiques qui n’ont de cesse de raisonner dans mon crâne et qui ne me lâcheront pas tant que je n’aurais pas terminé ma mission ! D’ailleurs je dois retourner...»
Adieu...
Soudain, le Prince se redressa à toute bombe et sauta par la fenêtre qui explosa en mille morceaux. Je me redressai de mon bureau et regardai autour de moi, stupéfait et excité à la fois. Il n’y avait personne chez moi. La console de jeu était allumée et ma fenêtre était en parfait état...Le Prince est-il un songe ? Mon rêve s’était brusquement arrêté au moment où je voulais lui dire que ses aventures étaient, en toute franchise, à la hauteur de sa bravoure. Subtiles et dépaysantes. Qu’en dépit de quelques défauts -mais qui n’en a pas ?- L’âme du guerrier est un jeu intéressant, poétique et enlevé supérieur à l’ancien opus malgré un effet de surprise à demi-mesure et un aura de magie et de volupté orientale évaporée; mais que cela ne tienne. Qu’il manque une petite touche de finition et de subtilité, un level-design un peu plus dense et un fil directeur plus inattendu et moins en dent de scie pour en faire un chef d’œuvre.
Mais en tant que telle, la quête mérite qu’on s’y attarde réellement. Les concepteurs ont fait sincèrement en sorte de s’approcher plus du produit artistique que commercial et la pilule passe honnêtement à la vue du travail de qualité effectué. Je remarquai enfin sur le dessus de ma console, un petit mot, écrit avec mon stylo et sans doute mon écriture : «Merci pour tes propos. J’en sais plus sur moi-même désormais. Pourvu que les gens savent enfin que mes intentions sont pures. A dans une autre vie...». Ton message est passé, Prince. Et ceux qui te suivront t’indiqueront le chemin... L’âme du guerrier, elle est aussi dans chacun de nous, prince ou apôtre. Vous n’avez rien lu de tout ça et vous n’en croirez rien.
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