Test de To hell with the ugly : du roman au jeu vidéo
Rock Bailey a été floué ! Partez dans les rues de Los Angeles pour venger le beau Rock et mettre au jour une conspiration plus grande encore !
TestVernon ou Boris ?
Débutons par le commencement. To hell with the ugly est un roman de Vernon Sullivan de 1948, publié en France sous le titre Et on tuera tous les affreux. C’est un certain Boris Vian qui en assure la “traduction”. Mais en réalité, Boris et Vernon sont les mêmes personnes. L’auteur de L’écume des jours a en effet pris un pseudo anglo-saxon pour publier ses fausses traductions parodiant les romans noirs et autres genres. C’est d’ailleurs sous le pseudo de Vernon que Boris Vian publie le retentissant J’irai cracher sur vos tombes qui lui a valu un grand procès pour “outrage aux bonnes mœurs”. En 1948 parait donc Et on tuera tous les affreux, qui donnera, des décennies plus tard, le jeu de La Poule Noire, To hell with the ugly. Pour terminer sur le roman, il a été écrit dans la plus pure tradition des romans noirs américains des années 1945/50. C’était la mode à l’époque, de présenter un récit sombre, prenant place dans une ville américaine et de présenter notamment des éléments que l’on pouvait considéré comme underground à l’époque (clubs de jazz, ruelles mal famées, etc.).A la différence que Et on tuera tous les affreux en est une parodie assumée et décalée. Les références à d’autres productions ou éléments de la culture de l’époque sont nombreuses, les rebondissements frôlent par moment l’absurde et mettent en lumière des structures narratives très spécifiques. Et tout cela, on le retrouve dans le jeu !
Mais qui sont les affreux ?
To hell with the ugly nous raconte l’histoire de Rock Bailey, un jeune homme particulièrement beau, courtisé par toutes les femmes, mais qui s’astreint à une discipline sans faille : il ne se laissera pas séduire, ni ne couchera avant ses vingt ans. Une chose que la gent féminine peine à comprendre. Rock traîne souvent dans le club de jazz où il a ses habitudes. Mais ce soir, rien ne va se passer comme prévu : sorti prendre l’air, Rock se fait enlever, se retrouve nu dans une étrange chambre avec une femme tout aussi nue qui lui fait des avances.Alors qu’il tente de s’enfuir, Rock est capturé à nouveau, passe une terrible nuit avant d’être abandonné sur le trottoir quelque part en ville. Pour Rock, c’est un affront immense. Il décide alors de retrouver la trace de son kidnappeur et de se venger. Il est loin de se douter qu’au club, un corps a été retrouvé, assassiné pendant son absence.Evacuant très très vite (pour ne pas dire ne le mentionnant absolument pas) le viol masculin qui se déroule dans les premières minutes du jeu, abordant de façon très superficiel et sous l’angle de la rigolade le consentement (ça devient assez vite un running gag le fait que Rock ne veuille pas perdre sa virginité avant ses vingt ans), To hell with the ugly se trouve dans un entre-deux un peu étrange au niveau de son propos. Parce qu’il s’agit d’une adaptation fidèle d’un roman de 1948, avec ses thématiques, ses problématiques et son contexte historique, est-il possible d’en faire un copier/coller aujourd’hui ? Certes, l’idée de renverser les codes et de placer l’homme en position de “proie” de la gent féminine avide de relations est une idée intéressante, mais elle souffre assez rapidement d’un certain manque de profondeur, de questionnements, ou simplement de liant avec l’intrigue.
Car ce n’était pas le but de Et on tuera tous les affreux, qui est, rappelons-le, un pastiche des romans noirs à une époque où ces thématiques sont traités avec légèreté (quand elle le sont, et quand c’est le cas, par des femmes, et non par des hommes). D’une façon détournée, le jeu nous interroge sur le traitement que l’on peut réserver aux textes anciens, comment les voir, les appréhender, qu’en faire à l’aune des problématiques sociétales actuelles. Si To hell with the ugly est une ouverture vers ces questionnements, il n’en reste pas moins un jeu avec un gameplay, que nous allons voir tout de suite.
Une histoire interactive mais figée
Puisque l’histoire a déjà été écrite, les choix, les phases d’enquête et le reste du point’n’click sont assez figés. Bien sûr, vous pouvez vous tromper, mais vous ne pourrez avancer autrement dans l’intrigue. Il n’existe qu’un seul chemin pour vous mener à votre vengeance. Celui-ci passe donc par différentes phases : vous allez pouvoir vous balader dans l’environnement en 2D à défilement horizontal, parler avec les différentes personnes présentes.Parfois, parler avec elles vous ouvre un nouvel écran, plus “en face à face”, où vous allez pouvoir sélectionner différents éléments, que ce soit ce livre posé sur le comptoir, ce tableau affiché dans le décor, ou simplement cliquer sur le personnage pour lui parler. Le côté point’n’click est alors bien présent : vous sélectionnez, parfois vous avez quelques menus choix de dialogues, parfois vous avez juste des réflexions de Rock sur le rangement du bureau du flic, sur l’instance de mademoiselle, sur la stupidité de tel videur de boite.Les phases d’enquête vous proposent souvent de remettre des éléments dans l’ordre. Par exemple, un dossier d’enquête complètement éparpillé, une recherche d’individu sur une carte, etc. Assez simples, ces moments sont cependant assez intéressants à jouer, même s’ils ne se font qu’à la manette, le jeu ne disposant pas de fonctionnalités tactiles. Vous l’aurez compris, To hell with the ugly table sur son intrigue, son graphique et son ambiance sonore pour vous happer, avec l’appui d’un gameplay très facile à prendre en main, voire simpliste. Et ce ne sont pas les phases de combat qui viendront nous contredire. Encore une fois facile à prendre en main, il s’agit d’affrontements au tour par tour, avec un timing pour appuyer sur vos touches. Un cercle apparaît lorsque vous avez sélectionné votre action et il faut appuyer au bon moment pour faire un maximum de dégâts ou simplement ne pas en prendre.
A quelques exceptions près, vous serez toujours accompagnés d’un autre personnage du jeu qui a ses propres spécificités. La belle Sunday tire au revolver, votre ami journaliste Gary utilise son parapluie, etc. Parfois quelques éléments extérieurs viennent entraver votre progression. A cela s’ajoute des phases d’infiltration où il vous faut vous faufiler derrière des plantes et autres caisses de bois pour déjouer la vigilance des gardes et même parfois actionner un élément pour distraire leur attention.
Mais alors, le jeu est comment ?
To hell with the ugly se démarque par son traitement graphique : les nuances d’orange se marient très bien aux aplats noirs, renforcent l’ambiance film/roman noir des années 50, tout en mettant en avant une véritable proposition graphique. Le doublage des voix, en anglais (texte en français), donnent du corps à l’expérience. Les cinématiques renforcent le côté bande dessinée de la réalisation, avec la séparation de l’écran en case par moment, le côté images par images qui apparaît parfois ou encore les choix de cadrage et de découpage de l’image.La Poule Noir propose quelque chose avec ce jeu : une réalisation qui table sur son esthétique, sur l’intrigue déjà écrite. Mais il manque un petit quelque chose : car à l’exception de ces éléments qui font la force du jeu, tout le reste semble figé. Les affrontements se déroulent comme au métronome, les phases de point’n’click/enquêtes sont superficielles. On aurait presque préféré un visual novel intégral quitte à tabler sur l’intrigue.Le constat est alors en demi-teinte, si bien qu’il est difficile de trancher. Certains aspects parfaitement maîtrisés donnent de l’ampleur au titre, d’autres, comme ceux évoqués en début de cet article, questionnent voire mettent mal à l’aise. Et au milieu de tout ça, vous êtes là, à avancer dans un jeu à la durée de vie d’environ quatre heures selon comment vous vous y prenez, à découvrir un univers, voire même un auteur si vous n’avez jamais lu Boris Vian ou son alter-ego américain.
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