Super Mario Run, une occasion manquée pour la conquête du marché mobile ?
Fidèle à sa stratégie d'amener le public vers ses consoles, Nintendo a peut-être brûlée prématurément l'exceptionnelle opportunité commerciale de triompher sur le marché mobile en proposant sa version actuelle de Super Mario Run. Décryptage.
DossierSuper Mario Run : colosse finalement aux pieds d'argile
La sortie de Super Mario Run en décembre a été très médiatisée, peut-être trop. Mais le jeu est un marqueur intéressant car il était le premier véritable jeu mobile de Nintendo, certes en partenariat avec DeNA, utilisant Mario la mascotte de la société : le premier Mario officiel sur mobile après une multitude de clones gratuits dont Nintendo a tenté de faire la chasse en obligeant de nombreux sites à effectuer un certain nettoyage via des pressions judiciaires.Le jeu a été lancé dans plus de 150 pays et a reçu plus de 10 millions de téléchargements lors de son premier jour, le meilleur résultat pour un jeu mobile durant sa première journée de lancement. Même Pokémon Go n’avait pas fait aussi fort (900 000 téléchargements mais sur trois pays seulement, ce qui le classe aussi dans la catégorie des titres remarquables, ce n’est pas pour rien que ce jeu a reçu la distinction de l’application la plus téléchargée sur l’App Store en 2016).
Pourtant, au-delà de ce succès au lancement, le jeu n’a pas réussi à concrétiser sur la durée et de nombreux investisseurs et analystes sont désormais pessimistes sur les chances de Super Mario Run d’être au final si rentable qu'on l'aurait pensé pour Nintendo vue sa hype initiale, y compris lorsque sa déclinaison Android sortira. Pire, sa notation aujourd'hui très moyenne est un constat que Nintendo a loupé partiellement son coup alors qu'elle avait tous les atouts en main.
Super Mario Run est-il donc un échec pour la firme ou simplement un projet beaucoup plus ambitieux qui dépasse la simple stratégie de capter le marché mobile, comme le souhaiteraient les actionnaires, désireux de faire rapidement de l'argent facile ? Qu’est-ce qui a cloché pour mériter aujourd’hui un désamour de l’application, alors que le contrat initial a été en grande partie remplie au départ ?
Sa force : Super Mario Run est un vrai jeu et non un ersatz
On ne peut pas reprocher à Nintendo d’avoir bâclé son jeu : c’est un vrai jeu, respectueux de la licence et du personnage, avec des graphismes soignés, une bande-son honnête et une prise en main très accessible (lisez notre test de Super Mario Run pour lire notre avis sur ce nouveau jeu Mario).Même si c’est un runner, les 24 niveaux (à multiplier par trois pour débloquer toutes les pièces) gardent certaines complexités pour tenir en haleine un petit moment et on prend plaisir à tenter de découvrir tous les secrets et de récupérer toutes les pièces pour le faire à 100%.
Pour les personnes non habituées à Mario, c’est donc un jeu plaisant, qui donne effectivement envie de découvrir les jeux de la marque sur console, car malgré tout, ce Super Mario Run n’a pas l’inventivité de ces derniers jeux classiques, mais reste un honnête mixage des derniers jeux sortis sur les consoles.
La popularité de Mario et la confiance envers la marque
Le public ne s’y est pas trompé, lui qui est submergé par la vague impressionnante de titres sur mobile, devient de plus en plus passif dans sa découverte de nouveaux jeux. Actuellement, 39% des joueurs mobiles disent qu'ils visitent une boutique d'applications moins d'une fois par mois et qu'ils n'ont pas téléchargé de jeux certains mois.Les Stores ont donc besoin d’application avec des figures fortes (les IP) pour attirer à nouveau et l’exclusivité temporaire de Super Mario Run sur l'AppStore est devenue une aubaine et le meilleur moyen d’attirer à nouveau le public à fréquenter le Store et à relancer des ventes.
Les chiffres viennent de tomber pour Apple et c’est une réussite. Entre la locomotive Pokémon Go et le bon boost apporté par Super Mario Run, la hausse est 40% par rapport à l’année 2015. Entre les 20 millions de revenus + la commission de 30% que le groupe perçoit sur chaque application vendue sur son store, c’est au global un joli pactole de 28,5 milliards de dollars dont se nourrissent Apple et Google avec leurs stores.
Nintendo a donc clairement une carte à jouer car toutes ses propositions vont être mises en avant par les Stores et le public a un réel attachement vis-à-vis de la marque, très présente dans les requêtes de recherche sur le Web depuis de nombreux mois. La marque a une aura particulière pour ses jeux internes bien développés, et ses licences sont beaucoup plus connues et appréciées que les Angry Birds et Candy Crush Saga, Mario ayant un potentiel supérieur à Star Wars, Marvel et Pokémon.
Si la coopération Apple Nintendo a été un grand coup médiatique, qu’est-ce qui cloche ?
Un jeu reposant sur un modèle financier atypique, moins rémunérateur
Le boulet n°1 est son modèle financier. Les enjeux de la monétisation ont fait choisir à Nintendo une attitude peu commune pour le marché du jeu vidéo. Une version gratuite pour télécharger et essayer les trois premiers niveaux, qui effectivement sont vite achevés, puis une somme forfaitaire de 9,99 $/€ pour pouvoir jouer au reste du jeu, sans avoir de micro-paiement supplémentaires. On paie une fois et c’est fini. Et c’est là le problème par rapport aux autres jeux.Super Mario Run avec ses trois premiers niveaux gratuits au départ et l’obligation de débourser une somme de 9,99 € pour déverrouiller le reste du jeu sans autre stratégie de monétisation n’a rien de commun avec l’habituel schéma des jeux free-to-play, où d’habitude les joueurs peuvent lentement progresser à leur rythme en continuant la totalité du jeu gratuitement ou en choisissant de payer pour accélérer leur progression.
C’est un choix inédit pris par Nintendo, qui a décidé de rien faire comme les autres mais il ne faut pas oublier que les jeux dits « haut de gamme » n’ont pas encore connu de succès massif sur mobile. N’oublions pas que plus de 90% des revenus des jeux mobiles iOS sont générés par des jeux dits "gratuits". La société Apple elle-même a eu du mal à positionner le jeu au départ dans son store.
Et pour le moment, le jeu ne rapporte pas vraiment plus qu’un free-to-play, le ratio des personnes ayant téléchargé le jeu gratuitement et ceux ayant acheté le jeu tourne à un peu plus de 3%, un peu mieux que des Candy Crush (autour de 2%), mais la courbe de Super Mario Run est actuellement en chute libre.
Être un leader du marché mobile exige une forte monétisation et une capacité de rétention
Super Mario Run est susceptible de voir ses revenus s’effondrer rapidement en raison de son manque de monétisation. Des titres leaders comme Game of War: Fire Age peuvent compter sur des joueurs qui dépensent des milliers de dollars au sein de l’application via des micro-achats réguliers au cours de plusieurs mois. On compte désormais sur la longue durée pour rentabiliser les investissements, en ajoutant régulièrement de la nouveauté. Or Super Mario Run ne pourra jamais compter recevoir plus de 9,99 $ par joueur (il faut retirer la commission d’Apple) et la firme a indiqué n’avoir aucun projet de contenus supplémentaires pour le jeu à l’avenir. Le modèle est donc verrouillé et c’est un point sur lequel Nintendo va devoir sérieusement se pencher si elle ne souhaite pas que ses prochains jeux sur mobile ne restent que de simples feux de paille.Ce n’était pas l’objectif initial car Nintendo ne veut pas dominer le marché mobile et souhaite ramener les joueurs vers ses consoles mais a-t-elle aussi les moyens de proposer rapidement des DLC à ses jeux ? Hormis Splatoon qui doit une grande partie de son succès à ses animations et au déblocage régulier d’un nouvel armement (déjà planifié dès le début mais rendu temporairement indisponible), on ne peut pas dire que Nintendo a montré dans le passé une capacité à être réactif pour apporter régulièrement du sang neuf à ses jeux sur une longue durée. Super Mario Maker reste peut-être le seul exemple (et encore, après une période faste, ce sont désormais des extensions homéopathiques qui sont apportées).
Avec le mobile, Nintendo se doit d’être beaucoup plus réactif et plus régulier. L’échec de Miitomo n’y est pas pour rien, après trois semaines de curiosité, l’application est vite devenue un gadget inutile, Nintendo tentant de la relancer avec beaucoup de difficulté. Le parallèle est similaire avec Pokémon Go, l’autre titre où Nintendo s’est fortement impliquée. Après des records de téléchargements et des revenus mensuels initiaux élevés, l'absence de mises à jour significatives et d'opportunités ont entraîné une diminution très nette de l'intérêt pour le jeu. Même si la seconde vague de Pokémon arrive actuellement au sein du jeu, le mal est fait. En regardant les cinq premiers titres en 2016, qui contiennent des contenus concurrentiels très compétitifs, ils ont enregistré des recettes assez régulières chaque mois alors que celles captées par Pokémon Go a diminué depuis septembre (La seule exception étant Clash of Clans).
Super Mario Run reproduit certaines erreurs de Pokémon Go
Avec Pokémon Go, on a l’exemple du produit tiède, qui donne l’impression d’être dans la licence sans en retrouver les éléments fédérateurs. Prendre le contrôle des territoires en luttant dans des gymnases contre des Pokémon de personnes arrivées avant nous, les Pokémon étant contrôlés par l’IA, ne donne pas une assez bonne expérience de jeu. Les joueurs n'interagissent pas de manière significative avec les autres membres de l'équipe, et la prise en charge des gymnases ne sert à rien de plus que fournir une petite récompense individuelle.En dehors de ce type de combat au sein des gymnases, il n’existe aucun moyen d'interagir avec d'autres joueurs par le biais de batailles choisies par les joueurs directement, pour s’entraîner ou négocier, deux piliers de la franchise Pokémon. L’incapacité de proposer un modèle fiable de radar a fait perdre une grande partie des joueurs, agacés par la perte d’une fonction initiale sans correctifs fiables et rapides. A nouveau, Nintendo (et Game Freak et The Pokémon Company) a montré son incapacité à retenir le public sur le long terme au sein des jeux mobiles.
Les jeux mobiles ne sont qu’un faire-valoir pour attirer l’attention du public sur la marque Nintendo. Super Mario Run a fait le buzz pour espérer attirer le public vers la 3DS et surtout vers la Switch (et ce n’est pas pour rien que le nouveau Mario de la console sera un probable titre de lancement pour faire la jonction publicitaire). Super Mario Run va arriver sur Android mais finalement pour Nintendo, est-ce réellement si important ? En partie oui, car l’exclusivité iOS du titre a tout de même beaucoup limité le marché et l’apport des joueurs Android n’est pas négligeable, car c’est le plus gros marché !
Nintendo doit battre le fer quand il est encore suffisamment chaud, pour profiter encore du buzz autour du jeu sans faire d’efforts publicitaires. Et entre les problèmes de piratage qui lui ont fait choisir cette exigence d’être en ligne en permanence, et les clones qui vont rapidement apparaître sur le marché, le titre doit rapidement se faire une place avant de devenir obsolète faute de renouvellement. Nintendo a gardé une attitude conservatrice qui ne sied pas au monde mobile.
Le public du jeu mobile n’est pas le même que celui des consoles. Claquer 50 € pour le dernier Fifa ne pose pas de réels problèmes pour les joueurs consoles, en revanche, claquer 10 € sur un jeu mobile lorsqu’on est habitué à du gratuit avec des options payantes, ce n’est pas du tout la même chose. On le voit bien avec l’eShop sur Wii U ou 3DS, on lit régulièrement des commentaires sur le prix d’un jeu d’un studio indépendant dès qu’il dépasse les 10€. Le public préfère attendre les réductions. Même des jeux de qualité comme Axiom Verge, le dernier Shantae ou Fast Racing Neo, au gameplay de très grande qualité, paient cette attitude un peu frileuse de dépenser plus de 10 euros pour un jeu dématérialisé, alors qu’ils sont de véritables réussites et n’ont pas à rougir face à des jeux vendus dans le commerce à 30 ou 40 €.
Ce tarif de 9,99 € de Super Mario Run a crispé le public, absolument non préparé à ce type de tarif et qui ont trouvé alors de nombreux défauts au jeu : déjà vu, manque de niveau, trop cher….des critiques qui se comprennent quand on regarde ce qui existe.
Super Mario Run s’est bâti sur de nombreux compromis et n’apporte rien de neuf
Ce n’est pas le premier runner de qualité et on ne peut pas le finir sans payer.
Face à la concurrence d’un jeu comme Rayman Jungle Run, ou les Minions, deux jeux gratuits que l’on peut finir en étant patient sans avoir à débourser le moindre centime, l’obligation de payer pour tenter d’avancer dans le jeu a été mal perçu par le public adepte de jeux sur smartphone.Critique n°1 : Super Mario Run n’invente rien
C’est une critique souvent entendue, Super Mario Run applique les recettes de la concurrence, ne se démarque pas vraiment d’autres titres vendus moins chers et reste un calque des opus classiques de la saga. Pour les joueurs ayant déjà vu un Mario récemment, les premières images du jeu nous donnaient l’impression d’un clone de New Super Mario Bros.Pour les journalistes, on a pu remarquer rapidement dans les tests les habitués de la franchise un peu déçu par le manque de nouveautés qui ont plié le titre en environ 1h30 et les nouveaux venus du monde smartphone qui ont apprécié la qualité du titre malgré un prix jugé trop cher.
La faute aux contraintes de gameplay à une main ou au fait d’être un peu coincé pour ne pas dévaloriser les jeux consoles beaucoup plus chers ? Super Mario Run est bien fait mais n’a pas la magie des versions consoles, les clins d’œil d’humour, des personnages enchanteurs, certains côtés surréalistes, ce n’est pas un jeu où l’on va s’extasier. On part à la chasse aux pièces, on fait du troc, et c’est un peu tout.
Alors oui, le produit est un titre d’accroche mais en choisissant de s’arrêter à mi-chemin avec un vrai jeu fidèle à Mario, sans en avoir la magie, on obtient un produit tiède qui ne contente pas totalement les fans et n’enchante pas plus que cela ceux qui découvre l’univers Mario. C’est un peu un « Tout ce foin pour ça ? ». Super Mario Run est donc passé à côté du succès considérable qu’il aurait pu être s’il s’était montré un poil plus ambitieux.
Critique n°2 : la connexion Internet permanente.
C’est la fausse bonne idée, celle qui gâte l’expérience de jeu. Nintendo croit-elle vraiment que la couverture en réseau est si bonne que cela pour obliger le joueur à avoir cette attache permanente ? Le démarrage a été compliqué pour de nombreux joueurs dans certains pays qui, entre les pertes de réseau, les téléchargements qui n’aboutissaient pas, ont eu du mal à pouvoir jouer au jeu durant leur temps de trajet.Et cela, c’est rédhibitoire pour un jeu mobile. Si un jeu n’est pas accessible et disponible immédiatement, le joueur mobile, habitué à zapper, va rapidement passer à autre chose. Le joueur mobile ne veut pas attendre pour accéder au jeu et il veut avoir l’impression de gagner toujours un peu, même si c’est par un mécanisme progressif. Regardons Candy Crush. Chaque temps de jeu gratuit permet de s’amuser suffisamment longtemps pour remplir sa mission de divertir durant un déplacement professionnel, avec bien souvent le franchissement d’un niveau.
Pokémon Go a défrayé la chronique au départ dans les villes, mais pour les joueurs dans les campagnes qui n’avaient quasiment rien autour d’eux, le jeu n’était guère amusant et motivant, ceci s’est nettement dégradé quand on a perdu le radar de position car il fallait vraiment avancer à tâtons. Des problèmes qui soulèvent logiquement des questions, la couverture réseau du Japon n’est pas la même que dans les autres pays et on peut s’inquiéter de quelques couacs concernant l’utilisation nomade de la Switch avec l’absence potentielle (à confirmer encore pour le moment) du support 4G au profit du simple Wi-fi. A suivre.
Super Mario Run est d'abord un ambassadeur publicitaire de la marque
L’espoir de faire vendre des consoles reste l’objectif numéro 1, n’en déplaisent aux investisseurs. Le marché mobile a beau avoir été présenté comme le troisième pilier de Nintendo, le cœur de la marque reste le marché de ses consoles traditionnelles. Super Mario Run, comme Miitomo auparavant et probablement Fire Emblem et Animal Crossing dans quelques mois, ne sont que des produits d'accroche et n'ont pas l'ambition de révolutionner le jeu sur mobile.Image extraite de GoNintendo
Pourtant, tout n’est pas à jeter. Nintendo ne dévalorise pas ses IP et cela reste une force fondamentale. Il n’y a pas eu de massacre de la franchise et cela ne remet pas en cause le coût que l’on doit débourser pour un jeu en version console. Nintendo a fait le choix de maintenir un certain niveau de prix afin de ne pas dévaloriser ses propres univers. Les jeux pour mobiles doivent faire vendre les consoles et cela, Nintendo sait le faire.
Après la sortie réussie de Pokémon Go sur mobile, Nintendo a déclaré dans son premier bilan semestriel 2017 que les ventes de matériel de la famille Nintendo 3DS étaient en hausse de 19% par rapport à l'année précédente et ils ont attribué cette croissance au succès de Pokémon Go. Avec l’arrivée de Pokémon Soleil et Lune en novembre 2016, NPD a rapporté que le duo était devenu le plus gros succès de la franchise Pokémon depuis ses débuts.
Avec la sortie en mars 2017 de la Nintendo Switch, cette visibilité de Super Mario Run qui va s’accroitre avec son arrivée sur Android est un bon timing pour la marque. La stratégie de Nintendo consiste toujours, avant tout, à amener les consommateurs vers leurs consoles et le rapport d'EEDAR (Electronic Entertanment Design and Research) sur le marché mobile 2016 a révélé que plus de 52% des joueurs mobiles jouent également activement aux jeux console.
Nintendo faisant la publicité de leurs IP clés à destination de ces joueurs mobiles est un excellent moyen de susciter l'intérêt pour le nouveau matériel et l’existant de Nintendo. La tentative réussie de Super Mario Run d’amener le regard de millions de joueurs vers la marque est un facteur clé dans le taux d’achat anticipé de la Switch.
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